retour sur @lyon coup de coeur du jour discussion roulette meteo locale Xavier Cayla, une nouvelle vie retour
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La voyante tira une nouvelle carte. Elle parut méditer un instant, puis regarda Stéphane droit dans les yeux.

- "C'est complexe, dit-elle, je vois à la fois un grand malheur et un changement total et favorable dans votre vie".

- "Un changement de quel genre ?, s'enquit Stéphane, professionnel, relationnel, affectif ? Il pensa un bref instant à sa petite amie qui attendait à côté. Madame Loché ne recevait jamais plus d'une personne à la fois, et, même lorsque l'on venait en couple, un des deux patientait dans la pièce voisine en attendant son tour.

- "Ni l'un ni l'autre, répondit-elle, et tous à la fois. Je vois votre vie changer du tout au tout. Vos moeurs, vos coutumes, vos croyances. Votre vie affective et même votre travail. Je vois aussi un développement dans les langues étrangères".

Stéphane avait envie de rire mais il se retint, non pas en respect pour cette femme, elle, il n'en avait absolument rien à carrer, mais pour sa fiançée. C'est elle qui avait tenu à consulter une voyante. Elle avait entendu dire (par la cousine de la demi-soeur d'une amie d'enfance d'une de ses anciennes copines de classe qui avait vu l'homme qui avait vu l'homme qui avait vu l'homme qui avait vu le singe) que Madame Loché était une voyante sûre. Stéphane, quant à lui, se demandait toujours à quoi ressemblait une voyante sûre. Certainement pas à cette bonimenteuse qui prétendait qu'il allait vers une reconversion totale.

- "Mais enfin, dit-il un petit sourire en coin, ce n'est pas possible. Comment et pourquoi voulez-vous que je change de vie ? Je suis heureux avec mon amie, j'ai le travail dont j'ai toujours rêvé (et je me flatte d'être une des rares personnes à être pressées de partir travailler le matin), une maison agréable et un enfant qui ne demande qu'à naître d'ici quatre mois. De plus, je suis une vraie brêle en langues étrangères. Je ne me vois pas changer ma façon d'être dans l'année à venir. Vous voulez que je devienne quoi. Bouddhiste ?"

- "Pas dans l'année à venir, reprit-elle d'un ton monocorde, dans les semaines, voire les jours à venir".

Stéphane hurla de rire. Il n'y tenait plus. C'était un garçon au naturel joyeux, et la moindre parole qu'il put trouver comique (même si aux yeux des autres elle ne l'était pas) avait le pouvoir de le faire marrer. De plus, il ne possédait pas un rire discret, mais un de ceux qui se rapprochent un peu de la complainte du phoque en Alaska.

- "Ha, ben je ne regrette pas d'être venu. Quand je pense que je pourrais être en train de me faire chier devant Benny Hill ! Ha-ha-ha... Mais dites-moi, reprit-il sur un ton un peu plus sérieux, je pensais que les voyantes avaient la faculté de prédire l'avenir, mais ne pouvaient pas cerner les périodes précises ou même approximative des événements qu'elles voyaient lors de leurs... séances. (Là, je crois que je l'ai mouchée).

- "En effet, répondit-elle avec un petit sourire, mais votre futur est trop net pour que les événements se déroulent dans une période trop lointaine. je n'avais encore jamais ressentit ça auparavant".

- "Je fais cet effet-là à toutes les femmes. Ils rirent tous deux en coeur. En tous les cas, pensa-t'il, si elle a un don inné pour dire des conneries, elle a un peu d'humour. Mais je l'ai mouchée ! Elle lui faisait penser à ces commerciaux à cours d'arguments devant un client plus difficile à entuber que la moyenne. Et Stéphane avait toujours fait partie de ceux-là.

- "Bien, dit-il en se levant, ce n'est pas que je m'ennuie, mais je ne voudrais pas rater Urgence".

- "Au fait, c'est M. BEAN maintenant".

- "Pardon ?".

- "Le dimanche soir, reprit-elle en souriant, ce n'est plus Benny Hill, mais M. Bean. Stéphane hurla à nouveau de rire. Quelque part, elle lui plaisait bien.

- "Combien vous doit-on ?" demanda-t'il en rejoignant sa femme.

- "Je n'ai pas d'honoraires, c'est à votre bon coeur, ou si vous avez été satisfait de mes services. La voyance n'est pas encore une activité reconnue à sa juste valeur, vous savez...".

En sortant, Stéphane et Virginie se racontèrent mutuellement les dires de la voyante. Après une bonne crise de rire, elle admit qu'elle avait été complétement idiode de l'entraîner là-dedans. Les jours passèrent.
Mercredi, Stéphane sortait d'un bureau de tabac et traversait la rue en s'allumant une cigarette. Il entendit alors quelqu'un crier derrière lui "Attention !", mais la prévention s'était avérée trop tardive. La voiture était déjà sur lui. Il sentit ses genoux prendre un angle inaccoutumé. Tout se passa au ralenti. Son corps se plia vers la voiture, en faisant une rotation sur le côté. L'épaule gauche vint heurter le capot du véhicule et lui fit lâcher le zipo qu'il tenait dans sa main. Une pensée stupide - "Merde, elle était presque allumée !" - lui traversa l'esprit. Ce fut la dernière pensée avant que sa tête touche le pare-brise dans un bruit assourdit par son épaisse chevelure - Chtonc ! -. La dernière qui ne traversa jamais ce cerveau.

Valladolid, Espagne, au même moment :

- "Allez-y... poussez ! poussez..."

Mais qu'est-ce que vous faites ? Où suis-je ?

- "Vas-y ma chérie, encore un effort".

- "Donnez lui un peu d'oxygène monsieur".

Le jeune père appliqua le masque sur le visage de sa femme. Les mains de Martha se crispèrent sur les arceaux latéraux. Un cri se fit entendre du côté du médecin.

- "C'est bon, dit le Docteur. Même pas besoin de lui mettre la fessée. Monsieur Lasquez, vous voulez couper le cordon ?" Estéban regarda sa femme avec un sourire béat sur le visage.

Quoi ? Mais bon sang, il n'y a personne qui parle français ici ? Qu'est-ce que c'est que ce charabia ?

- "B... bien sûr". Il fit le tour du lit, mit le gant que la sage-femme lui tendait, saisit les ciseaux et sectionna le cordon entre les deux pinces que le gynécologue venait de poser.

- "Vous voilà les heureux parents d'une belle petite fille. On va lui faire la toilette et on vous la ramène. Monsieur Lasquez, vous pouvez venir avec nous si vous voulez". Les sages-femmes emmenèrent l'enfant dans la pièce voisine, suivies de près par le jeune père - Mais lâchez-moi enfin, merde, j'ai froid ! - et la mirent dans le bain - Haaa ! C'est chaud ! C'est chaud ! -.

- "Les revoilà", dit le Médecin à la jeune mère en tournant la tête deux secondes vers le père et la fille avant d'en revenir à sa couture. Une des sages-femmes s'approcha de Martha avec un carnet et un stylo.

- "Alors, comment va s'appeler cette petite princesse ?". Les époux se regardèrent et Estéban lui répondit : "Sonia Louisa Lasquez-Quino".

Mais non ! Mais-non-Mais-non-Mais-non ! Je m'appelle Stéphane, Stéphane K... heu... St... Je ne me rappelle plus. Je ne me rappelle plus de r... J... ne... rapp... ... Ouaaa, ouaaaa OUINNN !