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PERSONNAGES

    LA FEE
    TRIVELIN, son domestique
    ARLEQUIN, jeune homme enlevé par la fée
    SILVIA, bergère
    BERGER, amoureux de Silvia
    AUTRE BERGERE, cousine de Silvia
    DANSEURS, CHANTEURS, LUTINS

 

ACTE PREMIER

SCENE PREMIERE

LA FÉE, TRIVELIN


TRIVELIN (à la fée, qui soupire) __ Vous soupirez, madame ; et, malheureusement pour vous, vous risquez de soupirer longtemps, si votre raison n'y met ordre. Me permettez-vous de vous dire ici mon sentiment ?
LA FÉE __ Parle.
TRIVELIN __ Le jeune homme que vous avez enlevé à ses parents est un beau brun, bien fait ; c'est la figure la plus charmante du monde. Il dormait dans un bois quand vous le vîtes, et c'était assurément voir l'Amour endormi. Je ne suis donc point surpris du penchant subit qui vous a prise pour lui.
LA FÉE __ Est-il rien de plus naturel que d'aimer ce qui est aimable ?
TRIVELIN __ Oh ! sans doute ; cependant, avant cette aventure, vous aimiez assez le grand enchanteur. Merlin.
LA FÉE. __ Eh bien ! l'un me fait oublier l'autre ; cela est encore fort naturel.
TRIVELIN __ C'est la pure nature ; mais il reste une petite observation à faire ; c'est que vous enlevez le jeune homme endormi, quand peu de jours après vous allez épouser le même Merlin qui en a votre parole. Oh ! cela devient sérieux ; et, entre nous, c'est prendre la nature un peu trop à la lettre. Cependant, passe encore. ; le pis qu'il en pouvait arriver, c'était d'être infidèle ; cela serait très vilain dans un homme ; mais dans une femme, cela est plus supportable. Quand une femme est fidèle, on l'admire ; mais il y a des femmes modestes qui n'ont pas la vanité de vouloir être admirées. Vous êtes de celles- là ; moins de gloire, et plus de plaisir ; à la bonne heure !
LA FÉE. __ De la gloire à la place où je suis ! Je serais une grande dupe de me gêner pour si peu de chose.
TRIVELIN __ C'est bien dit ; poursuivons. Vous portez le jeune homme endormi dans votre palais, et vous voilà à guetter le moment de son réveil ; vous êtes en habit de conquête et dans un attirail digne du mépris généreux que vous avez pour la gloire. Vous vous attendiez de la part du beau garçon à la surprise la plus amoureuse ; il s'éveille, et vous salue du regard le plus imbécile que jamais nigaud ait porté. Vous vous approchez ; il bâille deux ou trois fois de toutes ses forces, s'allonge, se retourne et se rendort. Voilà l'histoire curieuse d'un réveil qui promettait une scène si intéressante. Vous sortez en soupirant de dépit, et peut-être chassée par un ronflement de basse-taille, aussi nourri qu'il en soit. Une heure se passe ; il se réveille encore, et, ne voyant personne auprès de lui, il crie : Hé ! A ce cri galant, vous rentrez ; l'Amour se frottait les yeux. Que voulez-vous, beau jeune homme ? lui dites-vous. Je veux goûter, moi, répondit-il. Mais n'êtes-vous point surpris de me voir ? ajoutez-vous. Eh ! mais, oui, repart-il.. Depuis quinze jours qu'il est ici, sa conversation a toujours été de la même force. Cependant vous l'aimez, et, qui pis est, vous laissez penser à Merlin que lui, Merlin, va vous épouser ; et votre dessein, m'avez-vous dit, est, s'il est possible, d'épouser le jeune homme. Franchement, si vous les prenez tous deux, suivant toutes les règles, le second mari doit gâter le premier.
LA FÉE __ Je vais te répondre en deux mots. La figure du jeune homme en question m'enchante ; j'ignorais qu'il eût si peu d'esprit quand je l'ai enlevé. Pour moi sa bêtise ne me rebute point ; j'aime, avec les grâces qu'il a déjà, celles que lui prêtera l'esprit quand il en aura. Quelle volupté de voir un homme aussi charmant me dire, à mes pieds : Je vous aime ! Il est déjà le plus beau brun du monde ; mais sa bouche, ses yeux, tous ses traits seront adorables, quand un peu d'amour les aura retouchés ; mes soins réussiront peut-être à lui en inspirer. Souvent il me regarde, et tous les jours je crois être au moment où il peut me sentir et se sentir lui-même. Si cela lui arrive, sur-le-champ j'en fais mon mari. Cette qualité le mettra alors à l'abri des fureurs de Merlin, mais, avant cela, je n'ose mécontenter cet enchanteur, aussi puissant que moi, et avec qui je différerai le plus longtemps que je pourrai.
TRIVELIN __ Mais si le jeune homme n'est jamais ni plus amoureux ni plus spirituel, si l'éducation que vous tâchez de lui donner ne réussit pas, vous épouserez donc Merlin ?
LA FÉE __ Non ; car, en l'épousant même je ne pourrais me déterminer. à perdre l'autre de vue ; et si jamais il venait à m'aimer, toute mariée que je serais, je veux bien te l'avouer, je ne me fierais pas à moi.
TRIVELIN __ Oh ! je m'en serais bien douté. sans que vous me l'eussiez dit. Femme tentée et femme vaincue, c'est tout un. Mais je vois notre bel imbécile qui vient avec son maître à danser.

SCENE II

ARLEQUIN entre la tête dans l'estomac, ou de toute autre façon niaise ;
SON MAÎTRE À DANSER, LA FÉE, TRIVELIN


LA FÉE __ Eh bien ! aimable enfant, vous me paraissez triste ; y a-t-il quelque chose ici qui vous déplaise ?
ARLEQUIN __ Moi, je n'en sais rien.
LA FÉE (à Trivelin qui rit) __ Oh ! je vous prie, ne riez pas ; cela me fait injure.. Je l'aime, cela suffit pour que vous deviez le respecter. (Pendant ce temps Arlequin prend des mouches. La fée continue à parler à Arlequin.) Voulez-vous bien prendre votre leçon, mon cher enfant ?
ARLEQUIN (comme n'ayant pas entendu) __ Hein ?
LA FÉE __ Voulez-vous prendre votre leçon, pour l'amour de moi ?
ARLEQUIN __ Non.
LA FÉE __ Quoi ! vous me refusez si peu de chose, à moi qui vous aime ?
Alors Arlequin lui voit une grosse bague au doigt ; il lui va prendre la main, regarde la bague, et lève la tête en se mettant à rire niaisement.
LA FÉE __ Voulez-vous que je vous la donne ?
ARLEQUIN __ Oui-dà..
LA FÉE (tire la bague de son doigt, et la lui présente. Comme il la prend grossièrement, elle lui dit : ) __ Mon cher Arlequin, un beau garçon comme vous, quand une dame lui présente quelque chose, doit lui baiser la main en le recevant.
Arlequin alors prend goulûment la main de la fée qu'il baise.
LA FÉE (à Trivelin) __ Il ne m'entend pas ; mais du moins sa méprise m'a fait plaisir. (Elle ajoute : ) Baisez la vôtre à présent. (Arlequin baise le dessus de sa main ; la fée soupire, et lui donnant sa bague, lui dit : ) La voilà, en revanche, recevez votre leçon.
Alors le maître à danser apprend à Arlequin à faire la révérence. Arlequin égaie cette scène de tout ce que son génie peut lui fournir de propre au sujet.
ARLEQUIN __ Je m'ennuie.
LA FÉE __ En voilà donc assez ; nous allons tâcher de vous divertir.
ARLEQUIN (sautant de joie) __ Divertir ! divertir !

SCENE III

LA FÉE, ARLEQUIN, TRIVELIN
TROUPE DE CHANTEURS ET DANSEURS


La Fée fait asseoir Arlequin auprès d'elle sur un banc de gazon. Pendant qu'on danse, Arlequin siffle.
UN CHANTEUR (à Arlequin) __ Beau brunet, l'Amour vous appelle.
ARLEQUIN (se levant niaisement) __ Je ne l'entends pas ; où est-il ? (Il appelle.) Hé ! hé !
LE CHANTEUR (continue) __ Beau brunet, l'Amour vous appelle.
ARLEQUIN (en se rasseyant) __ Qu'il crie donc plus haut.
LE CHANTEUR (en lui montrant la fée)Voyez-vous cet objet charmant ? Ses yeux dont l'ardeur étincelle Vous répètent à tout moment : Beau brunet, l'Amour vous appelle.
ARLEQUIN (regardant les yeux de la fée) __ Dame ! cela est drôle.
UNE CHANTEUSE, BERGÈRE (à Arlequin) __ Aimez, aimez ; rien n'es si doux.
ARLEQUIN __ Apprenez, apprenez-moi cela.
LA CHANTEUSE (continue en le regardant) Ah ! que je plains votre ignorance. ! Quel bonheur pour moi, quand j'y pense, (Elle montre le chanteur.) Qu'Atys en sache plus que vous !
LA FÉE __ Cher Arlequin, ces tendres chansons ne vous inspirent- elle, rien ? Que sentez-vous ?
ARLEQUIN __ Je sens un grand appétit.
TRIVELIN __ C'est-à-dire qu'il soupire après son repas. Mais voici un paysan qui veut vous donner le plaisir d'une danse de village ; après quoi nous irons manger. (Un paysan danse.)
LA FÉE (se rassied, et fait asseoir Arlequin qui s'endort. Quand la danse finit, la fée le tire par le bras, et lui dit en se levant) __ Vous vous endormez ? Que faut-il donc faire pour vous amuser ?
ARLEQUIN (en se réveillant, pleure) __ Hi ! hi ! hi ! Mon père, je ne vois point ma mère.
LA FÉE (à Trivelin) __ Emmenez-le ; il se distraira peut-être, en mangeant, du chagrin qui le prend. Je sors d'ici pour quelques moments. Quand il aura pris son repas, laissez-le se promener où il voudra.

SCENE IV

SILVIA, LE BERGER


SILVIA entre sur la scène en habit de bergère, une houlette à la main ; un berger la suit.
LE BERGER __ Vous me fuyez, belle Silvia !
SILVIA __ Que voulez-vous que je fasse ? vous m'entretenez d'une chose qui m'ennuie ; vous me parlez toujours d'amour.
LE BERGER __ Je vous parle de ce que je sens.
SILVIA __ Oui ; mais je ne sens rien, moi.
LE BERGER __ Voilà ce qui me désespère.
SILVIA __ Ce n'est pas ma faute. Je sais bien que toutes nos bergères ont chacune un berger qui ne les quitte point, elles me disent qu'elles aiment, qu'elles soupirent ; elles y trouvent leur plaisir. Pour moi, je suis bien malheureuse : depuis que vous dites que vous soupirez pour moi, j'ai fait ce que j'ai pu pour soupirer aussi ; car j'aimerais autant qu'une autre à être bien aise. S'il y avait quelque secret pour cela, tenez, je vous rendrais heureux tout d'un coup ; car je suis naturellement bonne.
LE BERGER __ Hélas ! pour de secret, je n'en sais point d'autre que celui de vous aimer moi-même.
SILVIA __ Apparemment que ce secret-là ne vaut rien ; car je ne vous aime point encore, et j'en suis bien fâchée. Comment avez-vous fait pour m'aimer, vous ?
LE BERGER __ Moi ! Je vous ai vue ; voilà tout.
SILVIA __ Voyez quelle différence ! et moi, plus je vous vois, et moins je vous aime. N'importe ; allez, allez, cela viendra peut-être ; mais ne me gênez point. Par exemple, à présent je vous haïrais si vous restiez ici.
LE BERGER __ Je me retirerai donc, puisque c'est vous plaire ; mais, pour me consoler, donnez-moi votre main, que je la baise.
SILVIA __ Oh ! non ; on dit que c'est une faveur, et qu'il n'est pas honnête d'en faire ; et cela est vrai, car je sais bien que les bergères, se cachent de cela.
LE BERGER __ Personne ne nous voit.
SILVIA __ Oui ; mais puisque c'est une faute, je ne veux point la faire qu'elle' ne me donne du plaisir comme aux autres.
LE BERGER __ Adieu donc, belle Silvia ; songez quelquefois à moi.
SILVIA __ Oui, Oui.

SCENE V

SILVIA, ARLEQUIN


SILVIA __ Que ce berger me déplaît avec son amour ! Toutes les fois qu'il me parle, je suis toute de méchante humeur. (Voyant Arlequin.) Mais qui est-ce qui vient là ? Ah ! mon Dieu ! le beau garçon !
ARLEQUIN (entre en jouant au volant- ; il vient de cette façon jusqu'aux pieds de Silvia ; là, en jouant, il laisse tomber le volant, et, en se baissant pour le ramasser, il voit Silvia. Il demeure étonné et courbé ; petit à petit et par secousses-, il se redresse le corps. Quand il s'est entièrement redressé, il la regarde ; elle, honteuse, feint de se retirer ; dans son embarras, il l'arrête, et dit) __ Vous êtes bien pressée !
SILVIA __ Je me retire, car je ne vous connais pas.
ARLEQUIN __ Vous ne me connaissez pas ! tant pis ; faisons connaissance, voulez-vous ?
SILVIA (encore honteuse) __ Je le veux bien
ARLEQUIN (en riant) __ Que vous êtes jolie ?
SILVIA __ Vous êtes bien obligeant..
ARLEQUIN __ Oh ! point ; je dis la vérité.
SILVIA (en riant un peu à son tour) __ Vous êtes bien joli aussi, vous.
ARLEQUIN __ Tant mieux ! Où demeurez-vous ? Je vous irai voir.
SILVIA __ Je demeure tout près ; mais il ne faut pas venir ; il vaut mieux nous voir toujours ici, parce qu'il y a un berger qui m'aime ; il serait jaloux, il nous suivrait.
ARLEQUIN __ Ce berger-là vous aime !
SILVIA __ Oui.
ARLEQUIN __ Voyez donc cet impertinent ! je ne le veux pas, moi. Est-ce que vous l'aimez, vous ?
SILVIA __ Non, je n'en ai jamais pu venir à bout..
ARLEQUIN __ C'est bien fait ; il faut n'aimer personne que nous deux ; voyez si vous le pouvez.
SILVIA __ Oh ! de reste. ; je ne trouve rien de si aisé.
ARLEQUIN __ Tout de bon. ?
SILVIA __ Oh ! je ne mens jamais. Mais où demeurez-vous aussi ?
ARLEQUIN __ Dans cette grande maison.
SILVIA __ Quoi ! chez la fée ?
ARLEQUIN __ Oui.
SILVIA (tristement) __ J'ai toujours eu du malheur.
ARLEQUIN (tristement aussi) __ Qu'est-ce que vous avez, ma chère amie ?
SILVIA __ C'est que cette fée est plus belle que moi, et j'ai peur que notre amitié ne tienne. pas.
ARLEQUIN (impatiemment) __ J'aimerais mieux mourir. (Tendrement.) Allez, ne vous affligez. pas, mon petit coeur.
SILVIA __ Vous m'aimerez donc toujours ?
ARLEQUIN __ Tant que je serai en vie.
SILVIA __ Ce serait bien dommage de me tromper ; je suis si simple ! Mais mes moutons s'écartent., on me gronderait s'il s'en perdait quelqu'un ; il faut que je m'en aille. Quand reviendrez-vous ?
ARLEQUIN (avec chagrin) __ Oh ! que ces moutons me fâchent !
SILVIA __ Et moi aussi ; mais que faire ? Serez-vous ici sur le soir ?
ARLEQUIN __ Sans faute. (Il lui prend la main.) Oh ! les jolis petits doigts ! (Il lui baise la main.) Je n'ai jamais eu de bonbon si bon que cela.
SILVIA (en riant) __ Adieu donc. (A part.) Voilà que je soupire, et je n'ai point eu de secret pour cela. Elle laisse tomber son mouchoir en s'en allant.
ARLEQUIN (ramassant le mouchoir) __ Mon amie !
SILVIA __ Que voulez-vous, mon ami ? Ah ! c'est mon mouchoir ; donnez.
ARLEQUIN (le tend, et puis le retire ; il hésite) __ Non, je veux le garder ; il me tiendra compagnie. Qu'est-ce que vous en faites ?
SILVIA __ Je me lave quelquefois le visage, et je m'essuie avec.
ARLEQUIN __ Et par où vous sert-il, afin que je le baise par là ?
SILVIA __ Partout ; mais j'ai hâte, je ne vois plus mes moutons. Adieu ; jusqu'à tantôt.
Arlequin la salue en faisant des lazzi., et se retire.

SCENE VI

LA FÉE, TRIVELIN


LA FÉE __ Eh bien ! notre jeune homme a-t-il goûté ?
TRIVELIN __ Oui, goûté comme quatre ; il excelle en fait d'appétit.
LA FÉE __ Où est-il à présent ?
TRIVELIN __ Je crois qu'il joue au volant dans les prairies ; mais j'ai une nouvelle à vous apprendre.
LA FÉE __ Quoi ? qu'est-ce que c'est ?
TRIVELIN __ Merlin est venu pour vous voir.
LA FÉE __ Je suis ravie de ne m'y être point rencontrée ; car c'est une grande peine que de feindre de l'amour pour qui l'on n'en sent plus.
TRIVELIN __ En vérité, madame, c'est bien dommage que ce petit innocent. l'ait chassé de votre coeur. Merlin est au comble de la joie ; il croit vous épouser incessamment... << Imagines-tu quelque chose d'aussi beau qu'elle ? >> me disait-il tantôt, en regardant votre portrait. << Ah ! Trivelin, que de plaisirs t'attendent ! >> Mais je vois bien que, de ces plaisirs-là, il n'en tâtera. qu'en idée ; et cela est triste, quand on s'en est promis la belle et bonne réalité. Il reviendra ; comment vous tirerez-vous d'affaire avec lui ?
LA FÉE __ Jusqu'ici je n'ai d'autre parti à prendre que de le tromper.
TRIVELIN __ Et n'en sentez-vous pas quelque remords de conscience.
LA FÉE __ Oh ! j'ai bien d'autres choses en tête qu'à m'amuser à consulter ma conscience sur une bagatelle.
TRIVELIN (à part) __ Voilà ce qui s'appelle un coeur de femme complet !
LA FÉE __ Je m'ennuie de ne point voir Arlequin ; je vais le chercher mais le voilà qui vient à nous. Qu'en dis-tu, Trivelin ? il me semble qu'il se tient mieux. qu'à l'ordinaire.

SCENE VII

LA FÉE, TRIVELIN, ARLEQUIN


Arlequin arrive tenant en main le mouchoir de Silvia qu'il regarde, et dont il se frotte tout doucement le visage.
LA FÉE (continuant de parler à Trivelin) __ Je suis curieuse de voir ce qu'il fera tout seul. Mets-toi à côté de moi ; je vais tourner mon anneau qui nous rendra invisibles.
Arlequin arrive au bord du théâtre, et il saute en tenant le mouchoir de Silvia ; il le met sur son sein, il se couche et se roule dessus, et tout cela gaiement.
LA FÉE (à Trivelin) __ Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela me paraît singulier.. Où a-t-il pris ce mouchoir ? Ne serait-ce pas un des miens qu'il aurait trouvé ? Ah ! si cela était, Trivelin, toutes ces postures-là seraient de bon augure..
TRIVELIN __ Je gagerais, moi que c'est un linge qui sent le musc..
LA FÉE __ Oh ! non. Je veux lui parler ; mais éloignons-nous un peu pour feindre que nous arrivons. (Elle s'éloigne de quelques pas.)
ARLEQUIN (se promène en chantant) __ Ter li ta ta li ta.
LA FÉE __ Bonjour, Arlequin.
ARLEQUIN (en tirant le pied, et mettant le mouchoir sous son bras) __ Je suis votre très humble serviteur.
LA FÉE (à part, à Trivelin) __ Comment ! voilà des manières ! Il ne m'en a jamais tant dit depuis qu'il est ici.
ARLEQUIN (à la fée) __ Madame, voulez-vous avoir la bonté de vouloir bien me dire comment on est quand on aime une personne ?
LA FÉE (charmée, à Trivelin) __ Trivelin, entends-tu ? (A Arlequin.) Quand on aime, mon cher enfant, on souhaite toujours de voir les gens ; on ne peut se séparer d'eux ; on les perd de vue avec chagrin. Enfin on sent des transports., des impatiences et souvent des désirs.
ARLEQUIN (en sautant d'aise. et à part) __ M'y voilà.
LA FÉE __ Est-ce que vous sentez tout ce que je dis là ?
ARLEQUIN (d'un air indifférent) __ Non, c'est une curiosité que j'ai.
TRIVELIN __ Il jase, vraiment !
LA FÉE __ Il jase, il est vrai ; mais sa réponse ne me plaît pas. Mon cher Arlequin, ce n'est donc pas de moi que vous parlez ?
ARLEQUIN __ Oh ! je ne suis pas un niais ; je ne dis pas ce que je pense.
LA FÉE (avec feu et d'un ton brusque) __ Qu'est-ce que cela signifie ? Où avez-vous pris ce mouchoir ?
ARLEQUIN (la regardant avec crainte) __ Je l'ai pris à terre.
LA FÉE __ A qui est-il ?
ARLEQUIN __ Il est à ... (Puis s'arrêtant.) Je n'en sais rien.
LA FÉE __ Il y a quelque mystère désolant là-dessous. Donnez-moi le mouchoir. (Elle le lui arrache, et après l'avoir regardé avec chagrin et à part.) Il n'est pas à moi ; et il le baisait ! N'importe ; cachons-lui mes soupçons, et ne l'intimidons pas ; car il ne me découvrirait rien.
ARLEQUIN (humblement, et le chapeau bas) __ Ayez la charité de me rendre le mouchoir.
LA FÉE (en soupirant en secret) __ Tenez Arlequin ; je ne veux pas vous l'ôter, puisqu'il vous fait plaisir.
Arlequin en le recevant lui baise la main, la salue et s'en va.
LA FÉE __ Vous me quittez ! Où allez-vous ?
ARLEQUIN __ Dormir sous un arbre.
LA FÉE (doucement) __ Allez, allez.

SCENE VIII

LA FÉE, TRIVELIN


LA FÉE __ Ah ! Trivelin, je suis perdue.
TRIVELIN __ Je vous avoue, madame, que voici une aventure où je ne comprends rien. Que serait-il donc arrivé à ce petit peste-là ?
LA FÉE (au désespoir et avec feu) __ Il a de l'esprit, Trivelin, il en a, je n'en suis pas mieux ; je suis plus folle que jamais. Ah ! quel cou pour moi ! Que ce petit ingrat vient de me paraître aimable ! As-tu, comme il est changé ? As-tu remarqué de quel air il me parlait ? con bien sa physionomie était devenue fine ? Et ce n'est pas de moi qu'il tient toutes ces grâces-là ! Il a déjà de la délicatesse de sentiment ; s'est retenu, il n'ose me dire à qui appartient le mouchoir ; il devine que j'en serais jalouse. Ah ! qu'il faut qu'il se soit pris d'amour pour avoir déjà tant d'esprit ? Que je suis malheureuse ! Une autre lui entendra dire ce << je vous aime >> que j'ai tant désiré, et je sens qu'il méritera d'être adoré ; je suis au désespoir. Sortons, Trivelin. Il s'agit ici de découvrir ma rivale ; je vais le suivre et parcourir tous les lieux où ils pourront se voir. Cherche de ton côté ; va vite. Je me meurs.

SCENE IX

SILVIA, UNE DE SES COUSINES


La scène change et représente une prairie où de loin paissent les moutons
SILVIA __ Arrête-toi un moment, ma cousine ; je t'aurai bientôt conté mon histoire, et tu me donneras quelque avis. Tiens, j'étais ici quand il est venu ; dès qu'il s'est approché, le coeur m'a dit que je l'aimais ; cela est admirable ! Il s'est approché aussi ; il m'a parlé. Sais-tu ce qu'il m'a dit ? Qu'il m'aimait aussi. J'étais plus contente que si on m'avait donné tous les moutons du hameau. Vraiment ! je ne m'étonne pas si toutes nos bergères sont si aises d'aimer ; je voudrais n'avoir fait que cela depuis que je suis au monde, tant je le trouve charmant. Mais ce n'est pas tout, il doit revenir ici bientôt ; il m'a déjà baisé la main, et je vois bien qu'il voudra me la baiser encore. Donne-moi conseil, toi qui as eu tant d'amants ; dois-je le laisser faire ?
LA COUSINE __ Garde-t'en bien-, ma cousine ; sois bien sévère ; cela entretient la passion d'un amant.
SILVIA __ Quoi ! il n'y a point de moyen plus aisé que cela pour l'entretenir ?
LA COUSINE __ Non ; il ne faut point aussi lui dire tant que tu l'aimes.
SILVIA __ Et comment s'en empêcher ? Je suis encore trop jeune pour pouvoir me gêner.
LA COUSINE __ Fais comme tu pourras ; mais on m'attend, je ne puis rester plus longtemps. Adieu, ma cousine.

SCENE X

SILVIA


SILVIA (seule) __ Que je suis inquiète ! j'aimerais autant ne point aimer que d'être obligée d'être sévère ; cependant elle dit que cela entretient l'amour. Voilà qui est étrange ; on devrait bien changer une manière si incommode ; ceux qui l'ont inventée n'aimaient pas autant que moi.

SCENE XI

SILVIA, ARLEQUIN


SILVIA __ Voici mon amant, que j'aurai de peine à me retenir !
Dès qu'Arlequin l'aperçoit, il vient à elle en sautant de joie ; il lui fait, des caresses avec son chapeau, auquel il a attaché le mouchoir, il tourne autour de Silvia ; tantôt il baise le mouchoir, tantôt il caresse Silvia.
ARLEQUIN __ Vous voilà, mon petit coeur ?
SILVIA (en riant) __ Oui, mon amant.
ARLEQUIN __ Etes-vous bien aise de me voir ?
SILVIA __ Assez.
ARLEQUIN __ Assez ! ce n'est pas assez.
SILVIA __ Oh ! si fait ; il n'en faut pas davantage.
Arlequin lui prend la main. Silvia paraît embarrassée.
ARLEQUIN __ Et moi, je ne veux pas que vous disiez comme cela.
(Il veut lui baiser la main.)
SILVIA (retirant sa main) __ Ne me baisez pas la main, au moins.
ARLEQUIN __ Comment ! Allez, vous êtes une trompeuse.
(Il pleure)
SILVIA (tendrement, en lui prenant le menton) __ Hélas ! mon petit amant, ne pleurez pas.
ARLEQUIN (continuant de gémir.) __ Vous m'aviez promis votre amitié
SILVIA __ Eh ! je vous l'ai donnée.
ARLEQUIN __ Non ; quand on aime les gens, on ne les empêche pas de baiser sa main. (En lui offrant la sienne.) Tenez, voilà la mienne voyez si je ferai comme vous.
SILVIA (se ressouvenant des conseils de sa cousine, et à part) __ Oh ! me cousine dira ce qu'elle voudra, mais je ne puis y tenir.. (Haut) Là, là, consolez-vous, mon ami, et baisez ma main puisque vous en avez envie ; baisez. Mais écoutez, n'allez pas me demander combien je vous aime ; car je vous en dirais toujours la moitié moins qu'il n'y en a, Cela n'empêchera pas que, dans le fond, je ne vous aime de tout mon coeur ; mais vous ne devez pas le savoir, parce que cela vous ôterait votre amitié ; on me l'a dit.
ARLEQUIN (tristement) __ Tous ceux qui vous ont dit cela ont fait un mensonge ; ce sont des causeurs qui n'entendent rien à notre affaire. Le coeur me bat quand je baise votre main et que vous dites que vous m'aimez, et c'est marque que ces choses-là sont bonnes à mon amitié.
SILVIA __ Cela se peut bien, car la mienne en va de mieux en mieux aussi, mais qu'importe ; puisqu'on dit que cela ne vaut rien, faisons un marché., de peur d'accident. Toutes les fois que vous me demanderez si j'ai beaucoup d'amitié pour vous, je vous répondrai que je n'en ai guère, et cela ne sera pourtant pas vrai ; et quand vous voudrez me baiser la main, je ne le voudrai pas, et pourtant j'en aurai envie.
ARLEQUIN (riant) __ Eh ! eh ! cela sera drôle ! je le veux bien ; mais, avant ce marché-là, laissez-moi baiser votre main à mon aise ; cela ne sera pas du jeu.
SILVIA __ Baisez, cela est juste.
ARLEQUIN (lui baise et rebaise la main ; et après, faisant réflexion au plaisir qu'il vient d'avoir, il dit : ) __ Oh ! , mais, mon amie, peut-être que le marché nous fâchera tous deux.
SILVIA __ Eh ! quand cela nous fâchera tout de bon, ne sommes-nous pas les maîtres ?
ARLEQUIN __ Il est vrai, mon amie. Cela est donc arrêté. ?
SILVIA __ Oui.
ARLEQUIN __ Cela sera tout divertissant. : voyons pour voir. (Arlequin ici badine-, et l'interroge pour rire.) M'aimez-vous beaucoup ?
SILVIA __ Pas beaucoup.
ARLEQUIN (sérieusement) __ Ce n'est que pour rire au moins ; autrement ...
SILVIA (riant) __ Eh ! sans doute.
ARLEQUIN (poursuivant toujours la badinerie, et riant) __ Ah ! ah ! ah ! Donnez-moi votre main, ma mignonne.
SILVIA __ Je ne le veux pas.
ARLEQUIN (souriant) __ Je sais pourtant que vous le voudriez bien.
SILVIA __ Plus que vous ; mais je ne veux pas le dire.
ARLEQUIN (souriant encore ici, puis changeant dé façon, et tristement) __ Je veux la baiser, ou je serai fâché.
SILVIA __ Vous badinez, mon ami ?
ARLEQUIN (toujours tristement) __ Non.
SILVIA __ Quoi ! c'est tout de bon ?
ARLEQUIN __ Tout de bon.
SILVIA (en lui tendant la main) __ Tenez donc.

SCENE XII

LA FÉE, ARLEQUIN, SILVIA


LA FÉE (en retournant son anneau, et à part) __ Ah ! je vois mon malheur.
ARLEQUIN (après avoir baisé la main de Silvia) __ Dame ! je badinais.
SILVIA __ Je vois bien que vous m'avez attrapée. ; mais j'en profite aussi.
ARLEQUIN (qui lui tient toujours la main) __ Voilà un petit mot qui me plaît comme tout.
LA FÉE (à part) __ Ah ! juste ciel ! quel langage ! Paraissons. (Elle retourne son anneau.)
SILVIA (effrayée de la voir, fait un cri) __ Ah !
ARLEQUIN __ Ouf !
LA FÉE (à Arlequin avec humeur) __ Vous en savez déjà beaucoup.
ARLEQUIN (embarrassé) __ Eh ! eh ! je ne savais pourtant pas que vous étiez là.
LA FÉE (en le regardant) __ Ingrat ! (Puis le touchant de sa baguette..) Suivez-moi. Après ce dernier mot, elle touche aussi Silvia sans lui rien dire.
SILVIA (touchée) __ Miséricorde !
La fée part avec Arlequin, qui marche devant en silence.

SCENE XIII

SILVIA, LUTINS


SILVIA (seule, tremblante, et sans bouger) __ Ah ! la méchante femme ! je tremble encore de peur. Hélas ! peut-être qu'elle va tuer mon amant, elle ne lui pardonnera jamais de m'aimer. Mais je sais bien comment je ferai ; je m'en vais assembler tous les bergers du hameau, et les mener chez elle : allons. (Silvia là-dessus veut marcher, mais elle ne peut avancer un pas.) Qu'est-ce que j'ai donc ? Je ne puis remuer.. (Elle fait des efforts et ajoute : ) Ah ! cette magicienne m'a jeté un sortilège. aux jambes. (A ces mots, deux ou trois lutins viennent pour l'enlever.) Aie ! aie ! messieurs, ayez pitié de moi ; au secours ! au secours !
UN DES LUTINS __ Suivez-nous, suivez-nous.
SILVIA __ Je ne veux pas, je veux retourner au logis.
UN AUTRE LUTIN __ Marchons. (Il l'enlève.)

SCENE XIV

LA FÉE, ARLEQUIN


La scène change et représente le jardin de la fée
LA FÉE (à Arlequin qui marche devant elle la tête baissée) __ Fourbe. que tu es ! je n'ai pu paraître aimable à tes yeux, je n'ai pu t'inspirer le moindre sentiment, malgré tous les soins et toute la tendresse que tu m'as vus ; et ton changement est l'ouvrage d'une misérable bergère ! Réponds, ingrat ! que lui trouves-tu de si charmant ? Parle.
ARLEQUIN (feignant d'être retombé dans sa bêtise) __ Qu'est-ce que vous voulez ?
LA FÉE __ Je ne te conseille pas d'affecter une stupidité que tu n'as plus. Si tu ne te montres tel que tu es, tu vas me voir poignarder l'indigne objet de ton choix.
ARLEQUIN (vite et avec crainte) __ Eh ! non, non ; je vous promets que j'aurai de l'esprit autant que vous le voudrez.
LA FÉE __ Tu trembles pour elle.
ARLEQUIN __ C'est que je n'aime pas à voir mourir personne.
LA FÉE __ Tu me verras mourir, si tu ne m'aimes.
ARLEQUIN __ Ne soyez donc pas en colère contre nous.
LA FÉE (s'attendrissant) __ Ah ! mon cher Arlequin, regarde- moi repens-toi de m'avoir désespérée : j'oublierai de quelle part t'est venu ton esprit ; mais puisque tu en as, qu'il te serve à connaître les avantages que je t'offre.
ARLEQUIN __ Tenez, dans le fond, je vois bien que j'ai tort ; vous êta belle et brave cent fois plus que l'autre. J'enrage.
LA FÉE __ Et de quoi ?
ARLEQUIN __ C'est que j'ai laissé prendre mon coeur par cette petite friponne, qui est plus laide que vous.
LA FÉE (soupirant en secret) __ Arlequin, voudrais-tu aimer une personne qui te trompe, qui a voulu badiner avec toi, et qui ne t'aime pas ?
ARLEQUIN __ Oh ! pour cela, si fait ; elle m'aime à la folie.
LA FÉE __ Elle t'abusait ; je le sais bien, puisqu'elle doit épouser un berger du village qui est son amant. Si tu veux, je m'en vais l'en. voyer chercher-, et elle te le dira elle-même.
ARLEQUIN (en se mettant la main sur la poitrine et sur son coeur) __ Tic tac, tic, tac, ouf ! voilà des paroles qui me rendent malade. (Plus vite.) Allons, allons je veux savoir cela ; car si elle me trompe jarni ! je vous caresserai, je vous épouserai devant ses deux yeux pour la punir.
LA FÉE __ Eh bien ! je vais l'envoyer chercher.
ARLEQUIN (encore ému) __ Oui ; mais vous êtes bien fine.. Si vous êtes là quand elle me parlera, vous lui ferez la grimace, elle vous craindra, et elle n'osera me dire rondement sa pensée.
LA FÉE __ Je me retirerai.
ARLEQUIN __ La peste ! Vous êtes une sorcière, vous nous jouerez, un tour comme tantôt, et elle s'en doutera. Vous êtes au milieu du monde, et on ne voit rien. Oh ! je ne veux point que vous trichiez faites un serment. que vous n'y serez pas en cachette.
LA FÉE __ Je te le jure, foi de fée.
ARLEQUIN __ Je ne sais point si ce juron-là. est bon ; mais je me sou. viens à cette heure, quand on me lisait des histoires, d'avoir VI qu'on jurait par le Six, le Tix, oui, le Styx.
LA FÉE __ C'est la même chose.
ARLEQUIN __ N'importe, jurez toujours.. Dame ! puisque vous craignez, c'est que c'est le meilleur.
LA FÉE (après avoir rêvé.) __ Eh bien ! je n'y serai point, je t'en jure par le Styx, et je vais donner ordre qu'on l'amène ici.
ARLEQUIN __ Et moi, en attendant, je m'en vais gémir en me promenant.

SCENE XV

LA FÉE


LA FÉE (seule) __ Mon serment me lie ; mais je n'en sais pas moins le moyen d'épouvanter la bergère sans être présente, et il me reste une ressource.. Je donnerai mon anneau à Trivelin qui les écoutera invisible, et qui me rapportera ce qu'ils auront dit. Appelons-le. Trivelin ! Trivelin !

SCENE XVI

LA FÉE, TRIVELIN


TRIVELIN __ Que voulez-vous, madame ?
LA FÉE __ Faites venir ici cette bergère, je veux lui parler ; et vous, prenez cette bague. Quand j'aurai quitté cette fille, vous avertirez Arlequin de lui venir parler, et vous le suivrez sans qu'il le sache, pour venir écouter leur entretien, avec la précaution de retourner la bague pour n'être point vu d'eux ; après quoi, vous me redirez leurs discours.. Entendez-vous ? Soyez exact, je vous prie.
TRIVELIN __ Oui, madame. (Il sort.)

SCENE XVII

LA FÉE, SILVIA


LA FÉE (un moment seule) __ Est-il d'aventure plus triste que la mienne ? Je n'ai lieu d'aimer plus que je n'aimais, que pour en souffrir davantage ; cependant il me reste encore quelque espérance ; mais voici ma rivale. (A Silvia.) Approchez, approchez.
SILVIA __ Madame, est-ce que vous voulez toujours me retenir de force ici ? Si ce beau garçon m'aime, est-ce ma faute ? Il dit que je suis belle ; dame ! je ne puis m'empêcher de l'être.
LA FÉE (avec fureur, à part) __ Oh ! si je ne craignais de tout perdre, . la déchirerais. (Haut.) Ecoutez-moi, petite fille ; mille tourment vous sont préparés, si vous ne m'obéissez.
SILVIA __ Hélas ! vous n'avez qu'à dire.
LA FÉE __ Arlequin va paraître ici ; je vous ordonne de lui dire que vous n'avez voulu que vous divertir de lui, que vous ne l'aime point, et qu'on va vous marier avec un berger du village. Je ne paraîtrai point dans la conversation, mais je serai à vos côtés sans que vous me voyiez ; et si vous n'observez mes ordres avec la dernière rigueur, s'il vous échappe le moindre mot qui lui fasse deviner que je vous aie forcée à lui parler comme je le veux, tout prêt pour votre supplice..
SILVIA __ Moi, lui dire que j'ai voulu me moquer de lui ! Cela est raisonnable ? Il se mettra à pleurer, et je me mettrai à pleurer aussi. Vous savez bien que cela est immanquable.
LA FÉE (en colère) __ Vous osez me résister ! Paraissez, esprits infernaux ; enchaînez-la, et n'oubliez rien pour la tourmenter.
(Des esprits entrent.)
SILVIA (pleurant) __ N'avez-vous pas de conscience. de me demande une chose impossible ?
LA FÉE (aux esprits) __ Allez prendre l'ingrat qu'elle aime, et donnez lui la mort à ses yeux.
SILVIA __ La mort ! Ah ! Madame la fée, vous n'avez qu'à le faire venir je m'en vais lui dire que je le hais, et je vous promets de ne point pleurer du tout ; je l'aime trop pour cela.
LA FÉE __ Si vous versez une larme, si vous ne paraissez tranquille, il est perdu, et vous aussi. (Aux esprits.) Ôtez-lui ses fers.. (A Silvia) Quand vous lui aurez parlé, je vous ferai reconduire chez vous, a j'ai lieu d'être contente ; il va venir ; attendez ici.

SCENE XVIII

SILVIA, puis ARLEQUIN, TRIVELIN


SILVIA (un moment seule) __ Achevons vite de pleurer, afin que mon amant ne croie pas que je l'aime. Le pauvre enfant ! ce serait le tuer moi-même. Ah ! maudite fée ! Mais essuyons mes yeux ; le voilà qui vient.
Arlequin entre triste et la tête penchée ; il ne dit mot jusqu'auprès de Silvia. Il se présente à elle, la regarde un moment sans parler ; et après, Trivelin, invisible, entre.
ARLEQUIN __ Mon amie !
SILVIA (d'un air libre) __ Eh bien.
ARLEQUIN __ Regarde-moi.
SILVIA (embarrassée) __ A quoi sert tout cela ? On m'a fait venir ici pour vous parler ; j'ai hâte. Qu'est-ce que vous voulez ?
ARLEQUIN (tendrement) __ Est-ce vrai que vous m'avez fourbé ?
SILVIA __ Oui ; tout ce que j'ai fait, ce n'était que pour me donner du plaisir.
ARLEQUIN (s'approchant d'elle tendrement) __ Mon amie, dites franchement ; cette coquine de fée n'est point ici, car elle en a juré. (En flattant Silvia.) Là, là, remettez-vous, mon petit coeur ; dites, êtes-vous une perfide ? Allez-vous être la femme de ce vilain berger ?
SILVIA __ Oui, encore une fois ; tout cela est vrai.
ARLEQUIN (pleurant de toutes ses forces) __ Hi ! hi ! hi !
SILVIA (à part) __ Le courage me manque. (Arlequin cherche dans ses poches, il en tire un petit couteau qu'il aiguise sur sa manche.) Qu'allez-vous donc faire ? (Arlequin sans répondre, allonge le bras comme pour prendre sa secousse., et ouvre un peu son estomac.) Ah ! il va se tuer. Arrêtez-vous, mon amant ; j'ai été obligée de vous dire des menteries. (En parlant à la fée qu'elle croit à côté d'elle.) Madame la fée, pardonnez-moi. En quelque endroit que vous soyez ici, vous voyez bien ce qu'il en est..
ARLEQUIN __ Ah ! quel plaisir ! Soutenez-moi, m'amour, je m'évanouis d'aise. (Silvia le soutient. Trivelin paraît tout d'un coup à leurs yeux.)
SILVIA (surprise) __ Ah ! voilà la fée.
TRIVELIN __ Non, mes enfants, ce n'est pas la fée ; mais elle m'a donné son anneau, afin que je vous écoutasse sans être vu. Ce serait bien dommage d'abandonner de si tendres amants à sa fureur, aussi bien ne mérite-t-elle pas qu'on la serve, puisqu'elle est infidèle au plus généreux magicien du monde à qui je suis dévoué. Soyez en repos ; je vais vous donner un moyen d'assurer votre bonheur. Il faut qu'Arlequin paraisse mécontent de vous, Silvia ; et que, de votre côté, vous feigniez de le quitter en le raillant.. Je vais chercher la fée qui m'attend, à qui je dirai que vous vous êtes parfaitement acquittée de ce qu'elle vous avait ordonné ; elle sera témoin de votre retraite. Pour vous, Arlequin, quand Silvia sera sortie, vous resterez avec la fée ; et alors, en l'assurant que vous ne songez plus à Silvia infidèle, vous jurerez de vous attacher à la magicienne, et tâcherez par quelque tour d'adresse., et, comme en badinant, de lui prendre sa baguette. Je vous avertis que dès qu'elle sera dans vos mains, la fée n'aura plus aucun pouvoir sur vous deux ; et qu'en la touchant elle-même d'un coup de baguette, vous en serez absolument le maître. Pour lors., vous pourrez sortir d'ici et vous faire telle destinée qu'il vous plaira.
SILVIA __ Je prie le ciel qu'il vous récompense.
ARLEQUIN __ Oh ! quel honnête homme ! Quand j'aurai la baguette, je vous donnerai votre chapeau plein d'argent.
TRIVELIN __ Préparez-vous ; je vais amener ici la fée.

SCENE XIX

ARLEQUIN, SILVIA


ARLEQUIN __ Ma chère amie, la oie me court dans le corps, il faut que je vous baise ; nous avons bien le temps de cela.
SILVIA __ Taisez-vous donc, mon ami ; ne nous caressons pas à cette heure, afin de pouvoir nous caresser toujours. On vient ; dites-moi bien des injures. pour avoir la baguette.

SCENE XX

LA FÉE, TRIVELIN, ARLEQUIN, SILVIA


ARLEQUIN (comme en colère) __ Allons, petite coquine.
TRIVELIN (à la fée) __ Je crois, madame, que vous aurez lieu d'être contente.
ARLEQUIN (continuant à gronder Silvia) __ Sortez d'ici, friponne. Voyez cette petite effrontée. ! Sortez d'ici, mort de ma vie !
SILVIA (en riant) __ Ah ! ah ! qu'il est drôle ! Adieu, adieu ; je m'en vais épouser mon amant ; une autre fois ne croyez pas tout ce qu'on vous dit, petit garçon. (A la fée) Madame, voulez-vous que je m'en aille ?
LA FÉE (à Trivelin) __ Faites-la sortir, Trivelin.

SCENE XXI

LA FÉE, ARLEQUIN


LA FÉE __ Je vous avais dit la vérité, comme vous voyez.
ARLEQUIN (avec une indifférence apparente) __ Oh ! je me soucie bien de cela ; c'est une petite laide qui ne vous vaut pas. Allez, allez, à présent je vois bien que vous êtes une bonne personne. Fi ! que j'étais sot ; laissez faire, nous l'attraperons bien, quand nous serons mari et femme.
LA FÉE __ QUOI ! mon cher Arlequin, vous m'aimerez donc ?
ARLEQUIN __ Eh ! qui donc ? J'avais assurément la vue trouble. Tenez, cela m'avait fâché d'abord ; mais à présent je donnerais toutes les bergères des champs pour une mauvaise épingle. (Doucement.) Mais vous n'avez peut-être plus envie de moi, à cause que j'ai été si bête.
LA FÉE __ Mon cher Arlequin, je te fais mon maître, mon mari ; oui, je t'épouse ; je te donne mon coeur, mes richesses, ma puissance. Es-tu content ?
ARLEQUIN (la regardant tendrement) __ Ah ! ma mie, que vous me plaisez ! (Lui prenant la main.) Moi, je vous donne ma personne, et puis cela encore (C'est son chapeau) ; et puis encore cela. (Il lui met son épée au côté, et dit en lui prenant sa baguette.) Et je m'en vais mettre ce bâton à mon côté.
LA FÉE (inquiète, le voyant tenir sa baguette) __ Donnez, donnez-moi cette baguette, mon fils ; vous la casserez.
ARLEQUIN __ Tout doucement, tout doucement !
LA FÉE __ Donnez-donc vite ; j'en ai besoin.
ARLEQUIN (la touchant adroitement avec la baguette) __ Tout beau ! asseyez-vous là, et soyez sage.
LA FÉE (tombant sur un siège de gazon) __ Ah ! je suis perdue, je suis trahie.
ARLEQUIN (en riant) __ Et moi, je suis on ne peut mieux. Oh ! oh ! vous me grondiez tantôt parce que je n'avais point d'esprit ; j'en ai pourtant plus que vous. (Arlequin alors fait des sauts de joie, il rit, il danse, il siffle, et de temps en temps va autour de la fée, en lui montrant la baguette.) Soyez bien sage, madame la sorcière ; car voyez-vous bien cela ? (Alors il appelle tout le monde.) Allons, qu'on m'apporte ici mon petit coeur. Trivelin, où sont mes valets en tous les diables aussi ? Vite ; j'ordonne ; je commande, ou par la sambleu . . . (Tous accourt à sa voix.)

SCENE XXII

LA FÉE, ARLEQUIN, SILVIA, TRIVELIN
DANSEURS, CHANTEURS ET ESPRITS


ARLEQUIN (courant au-devant de Silvia, et lui montrant la baguette) __ Ma chère amie, voilà la machine ; je suis sorcier à cette heure ; tenez, prenez ; il faut que vous soyez sorcière aussi. (Il lui donne la baguette.)
SILVIA (prend la baguette en sautant d'aise) __ Oh ! mon amant, nous n'aurons plus d'envieux !
A peine Silvia a-t-elle dit ces mots, que quelques esprits s'avancent.
UN DES ESPRITS __ Vous êtes notre maîtresse ; que voulez-vous de nous ?
(Silvia surprise de leur approche, se retire.)
ARLEQUIN (fâché) __ Jarni ! je vous apprendrai à vivre. (A Silvia.) Donnez-moi ce bâton, afin que je les rosse.
Il prend la baguette, et ensuite bat les esprits avec son épée ; il bat après les danseurs, les chanteurs, et jusqu'à Trivelin même.
SILVIA (en l'arrêtant) __ En voilà assez, mon ami. (Arlequin menace tout le monde, va à la fée qui est sur le banc, et la menace aussi. Silvia alors s'aproche à son tour de la fée et lui dit en la saluant : ) Bonjour, madame ; comment vous portez- vous ? Vous n'êtes donc plus si méchante ? (La fée détourne la tête en jetant des regards de fureur sur eux.) Oh ! qu'elle est en colère !
ARLEQUIN (à la fée) __ Tout doux ! je suis le maître. Allons, qu'on nous regarde tout à l'heure agréablement.
SILVIA __ Laissons-la, mon ami ; soyons généreux ; la compassion. est une belle chose.
ARLEQUIN __ Je lui pardonne ; mais je veux qu'on chante, qu'on danse, et puis après nous irons nous faire roi quelque part.