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de Tankred Dorst

 

"Les moyens dont je me sers, sont, je crois aussi vieux que le Théâtre lui-même :
le masque, l'erreur, le mensonge, le jeu dans le jeu".
 

Tankred Dorst

Né en 1925 à Oberlind en Thuring. A 17 ans, il est incorporé dans l'armée en guerre et en 1947 libéré d'un camp de prisonnier américain, il passe son bac et étudie la philologie allemande, l'histoire de l'art, et plus tard les sciences théâtrales à Munich où il fait ses premières expériences théâtrales dans la section du théâtre de marionnettes. Il commence à travailler de bonne heure avec Peter Zadek et, boursier à la Villa Massino à Rome, il produit sa pièce "Toller" en 1962 (créée en France par Patrice Chéreau). Influencé par la pantomime, la commedia dell'arte, le théâtre chinois, mais aussi le théâtre de l'absurde et des auteurs étrangers tels que Giraudoux, Ionesco. Ecrivain en résidence aux Etats-Unis, il rencontre sa femme Ursula Ehler qui participera à la création de chaque nouveau texte. Certains sont portés à l'écran, en partie sous sa direction : "Sable" (1970), "Dorothea Merz" (1976), "La Mère de Clara" (1977), "Mosch" (1980). En 1978 est reçu à l'Académie allemande pour la langue et la formation à Darmstadt. En 1983 devient membre de l'Académie des sciences et de la littérature à Mayence. Lauréat de nombreux prix : prix de la littérature de l'Académie bavaroise des beaux-arts (1983), médaille Carl-Zuckmayer (1987), prix des auteurs dramatiques de la Ville de Mülheim (1988), prix Georg-Büchner de l'Académie allemande pour la langue et la poésie à Darmstadt (1990), prix d'art dramatique du Goethe-Institut (1994). Il a également traduit trois pièces de Molière et adapté pour la scène "Le Neveu de Rameau" de Diderot.
L'ensemble de ses pièces a été publié en cinq volumes. Vit aujourd'hui avec sa femme à Munich, et est considéré comme l'un des auteurs dramatiques de langue allemande le plus important et le plus joué. Sa dernière pièce "La Tête de Harry", qui met en scène Heinrich Heine, est un questionnement sur le rôle des intellectuels.

Pièces de Théâtre :
"Freiheit für Clemens" (farce, 1960), "Die Kurve" (un seul acte, 1961), "Grosse Schmährede an der Stadtmauer" (1961), "Der gestiefelte Kater oder wie man das Spielt" d'après L. Tieck (comédie, 1964), "Die Mohrin" d'après "Aucassin et Nicolette" (comédie, 1964), "Graf Grün oder die Notwendigkeit der Räuber" (1965), "Toller" (1968), "Dem Gegner den Daumen aufs Auge und das Knie auf die Brust" (1969) "Kleiner Mann, was nun ?" (1972), "Eiszeit" (1973), "Auf dem Chimborazo" (comédie, 1975), "Merlin oder Das wüste Land" (1981), "Grindkopf" (1986), "Ich, Feuerbach" (1986), "Parzifal" (avec Robert Wilson, 1987), "Fernado Krapp hat mir diesen Brief geschrieben" (1992), "Herr Paul" (1994), "Nach Jerusalem" (1994), "Die Schattenlinie" (1995), "Harry's kopf" (1997).
 
Le souvenir et l'aujourd'hui

Dans le quatuor dominant des dramaturges allemands contemporains, Tankred Dorst est certainement  le plus fiable, et pourtant toujours le plus surprenant. Avec une belle continuité, cet auteur auquel a été décerné en 1990 le Prix Büchner, la plus importante distinction littéraire d'Allemagne, écrit presque chaque année une nouvelle pièce et fournit ainsi aux théâtres de la matière fraîche, jouable, et qui connaît presque toujours le succès. Botto Strauss est sans doute plus brillant, spirituel, citadin, Peter Handke plus précieux, térébrant, formaliste, et Heiner Müller plus mythique, sauvage et troublant - aucun n'est aussi difficilement attachable à un style et à un sujet que Tankred Dorst, ce fils d'industriel né en 1926, dans la ville de Sonneberg, en Thuringe.

Sa création englobe presque toutes les disciplines. Certes, les pièces de théâtre occupent la plus grande partie de son œuvre. Mais Tankred Dorst a aussi rédigé des romans et des récits, écrit des livrets pour le théâtre de marionnettes et pour l'opéra, adapté des pièces radiophoniques, traduit Molière, Diderot et O'Casey, tourné des films télévisés et des films pour le cinéma, et mis en scène ses propres pièces.

Cette étonnante abondance créative lui laisse encore le temps pour accepter des chaires de professeur invité et des séries de conférences ; depuis 1964, il publie la "collection theater werbücher". Son dernier fait en date dans le domaine non littéraire : il a été l'un des instigateurs de la "Biennale de Bonn", un festival de théâtre extraordinaire dans l'ancienne capitale de la R.F.A., qui a eu lieu pour la première fois en juin 1992. Des auteurs de tous les pays européens avaient proposé à cette occasion des pièces de leur pays natal ; Tankred Dorst y a fait son choix pour composer un programme impressionnant par sa qualité et sa diversité.

Un autre plan qui lui tient à cœur a jusqu'ici échoué sur la résistance des édiles de Bamberg. Dans la métropole artistique francone, Tankred Dorst aimerait fonder un festival du romantisme, une sorte d'Avignon allemand dont la première édition serait dédiée à E.T.A. Hoffmann. Mais de telles entreprises ne sont - pour l'instant - que des perspectives d'avenir.

Depuis plus de deux décennies, chaque réalisation de l'atelier d'écrivain de Dorst porte la mention "avec la collaboration d'Ursula Ehler". Contrairement à Bert Brecht, qui se contentait d'exploiter ses collaborateurs (le plus souvent féminins), Tankred Dorst ne cache nullement au public cette exceptionnelle communauté de travail et de vie. Ses œuvres prennent leurs racines dans la discussion, dans le dialogue avec Ursula Ehler. Mais il est aussi arrivé fréquemment à Tankred Dorst de mettre au point des pièces, des revues et des planches d'images avec les metteurs en scène Peter Zadek et Peter Palitzsch - ce fut le cas pour "Toller", "Kleiner Mann, was nun ?" et dernièrement l'adaptation du "Lola" de Heinrich Mann, qui ne connut pas un grand succès.

Depuis près de quarante ans, depuis l'époque où il faisait ses études auprès du chercheur en sciences théâtrales Arthur Kutscher, Tankred Dorst vit à Munich, mais il a été particulièrement marqué par sa jeunesse à la frontière entre la Thuringe et la Franconie, ce qu'il a vécu sur le front ouest à 17 ans, la période où il fut prisonnier de guerre dans des camps anglais et russes, et l'après-guerre, qu'il passa à Wuppertal et à Bamberg. Ces expériences ont trouvé une expression immédiate dans la trilogie théâtrale "Auf dem Chimbozaro", "Die Villa" et "Heinrich oder Die Schmerzen der Phantasie", qui suit, sur plusieurs générations, l'évolution et la manière d'agir de la bourgeoisie allemande, depuis la dictature hitlérienne jusqu'à la République fédérale. Ces pièces ont été complétées par les travaux en prose "Dorothea Merz" et "Klaras Mutter".

Le souvenir et l'aujourd'hui, la force terrassante de la représentation et l'actualisation de l'histoire, la thématisation du théâtre, la réflexion sur ses théories et ses formes - ces motifs, et d'autres, parcourent continuellement la création dramaturgique de Tankred Dorst. Si, dans sa première période, il jouait avec la farce, le grotesque et les moyens du théâtre de l'absurde, que ce soit pour des comédiens ou pour les marionnettes du groupe de théâtre étudiant de Munich "Kleines Spiel", il écrivit bientôt des pièces où il s'inspirait de biographies privées. Mais la reproduction de la réalité ne l'a jamais beaucoup intéressé. Il veut présenter des rôles sociaux, des modèles.

"Toller", de 1968, est consacré à l'attitude des intellectuels sous la République des Conseils de Bavière, en 1919. Dorst y montre des procès ; mais, comme il le fera par la suite, il ne porte pas de jugement. "Sand, Beschreibung eines Attentäters" (1971) prend comme figure-prétexte l'assassin de l'auteur de comédies August von Kotzebue, un fidèle de Metternich ; "Eiszeit" (1972) traite de l'attitude de l'écrivain norvégien Knut Hamsu, sous le nazisme, et mène simultanément une réflexion sur les possibilités de la littérature. "Merlin oder Das wüste Land" (1981) et "Parzifal" (1987) se retournent vers le mythe et introduisent ainsi une nouvelle phase dans l'évolution de Dosrt. "Der verbotene Garten" (1987) place au premier plan Gabriele d'Annunzio et Eleonora Duse. "Karlos" (1990), une pièce sur "ce qu'il y a de mauvais dans l'être humain", brosse une image de l'infant d'Espagne plus fidèle que celle composée par Friedrich Schiller dans sa tragédie.

Dans sa première période, déjà, Tankred Dorst a écrit sur la théorie du théâtre et la pratique du théâtre ("Geheimnis der Marionette" et "Auf kleiner Bühne"). Plus tard, il fait graviter ses pièces - ses personnages avaient toujours un air de poupées, quelque chose de mécanique - autour de la nature du comédien et de cette force qui contraint à jouer ("Moi, Feuerbach", 1986). Le conte cruel "Korbes" (1988) montre en revanche un monde étriqué, sombre, sinistre, et ses habitants sans-dieu, avec les moyens grossiers du grand guignol, qui tranchent sur des extrait de la "Brockes-Passion" de Haendel.

La scène : c'est le véritable milieu de Tankred Dorst. Il se permet des excursions au cinéma ("Mosch" 1980 ; "Eisenhans", 1982), mais il en revient toujours au théâtre : Tankred Dorst est peut-être celui des dramaturges allemands de sa génération qui respecte le plus les lois de la scène, même dans ses abstractions et ses allégories. Il tente malgré tout de prolonger ces lois : "Je voudrais créer une autre dramaturgie, une nouvelle, qui aille au-delà de la simple dramaturgie de l'action, de cette dramaturgie bourgeoise, pour ainsi dire, et qui ne soit pas non plus un prolongement du théâtre épique de Brecht. Ce que je voudrais représenter doit aussi trouver sa propre dramaturgie".

Rétrospectivement, Tankred Dorst voit toujours transparaître dans son œuvre "le décalage entre l'utopie et la réalité, entre ce que l'on voudrait être et ce que l'on est". Lui-même considère aussi que la "nostalgie de l'innocence" est l'un de ses thèmes essentiels. Tankred Dorst, qui connaît toujours un tel succès avec ses pièces, ne veut pas croire à cette crise du théâtre, et surtout de l'art dramatique, que l'on ne cesse d'évoquer. Il n'a jamais beaucoup aimé le théâtre édifiant, ce qui lui a parfois valu des reproches sur son manque d'engagement et son absence de prises de position critiques - uniquement parce qu'il laisse à d'autres le soin de juger ses personnages (qui sont, eux, tout à fait critiques), et que lui-même n'interprète guère.

A l'époque où se brisent les idéologies et où apparaissent de nouveaux ordres du monde, Tankred Dorst reste toujours fidèle à ses thèmes, et ne souffre d'aucune inhibition de l'écriture : "L'incertitude rend créatif. C'est un état productif".

Manuel Brug
1992


La mise en scène
Alain Sergent

Né en 1949, ancien du conservatoire lyonnais, cuvée professorale Chavassieux et Martin-Barbaz, inaugure la scène du Théâtre les Ateliers en 1975, et joue dans "Yvan le terrible" de M. Bougakov, "Si l'été revenait" de Arthur Adamov, "La double Inconstance" de Marivaux, "le Surmâle" d'après Alfred Jarry dont il assure l'adaptation, "La Grande Imprécation devant les murs de la ville" de Tankred Dorst, "Racines" d'Arnold Wesker. Travaille aussi sous la direction de Pierre Vial, Stuart Seide, Bruno Carlucci, Marcel Maréchal, Maurice Yendt, Michel Dieuaide, André Tardy.

Crée sa propre compagnie "Drame et Fantaisie" en 1979. Pour l'ouverture de la Salle Gérard Philippe, "La Fille de Rappaccini", sa première mise en scène, plonge dans la mythologie d'Octavio Paz et le poison dont se nourrit l'héroïne. Avec A.P. de Mandiargues, le vertige s'étoffe dans "Isabella Mora" où, ironie, la délicate poétesse italienne mourra pour une passion qu'elle n'aura pu consommer. Dans "La Poule d'eau" de S.I. Witkiewicz, le flottement amoral des personnages se diffuse dans l'esthétisme qui recouvre la pièce jusqu'au suicide du fils pour le père. Alain Sergent met plus d'un an à façonner, à partir de répétitions entre soignants et soignés de l'hôpital psychiatrique de Saint-Jean-de-Dieu, un "Faust et Marguerite" (Bougakov-Goethe) créé aux Ateliers et repris à Saint-Fons. En 1986 le Festival de Bourgoin-Jallieu réclame ses services pour "La Mégére apprivoisée" d'après J. Audiberti pour tenter une approche prudente, une tendance plus littéraire du théâtre tout en conservant le côté grand spectacle. "Fin de Partie" de Samuel Beckett relève de la maturation du metteur en scène.
(Extrait de l'article paru dans Libération - G. Calzettoni - Juillet 1987)