Prise de notes des commentaires d'Alain Sergent lors d'une lecture à la table La salle de l'Elysée avec
- le parterre surelevé par des plateaux de 2m x 1 où seront les spectateurs
- le balcon côté cour et l'escalier qui seront des espaces de jeux
* d'audition pour ce qui est du fond de la partie supérieur du balcon
* de vision pour l'escalier où se tiendra l'assistant de façon à ce qu'il soit le plus visible des spectateurs quand il est sur l'escalier
- de l'escalier accès à l'espace scène
Entre les deux, un lieu neutre et étrange : la cabine téléphonique. Au point de vue des décors, la cabine est une coquille accoustique des années 60 - une grosse oreille - avec un téléphone à l'intérieur.Décors
- 1 chaise
- 1 escabeau de 4 marches
- 1 emphore sur 1 trépier (emphore cassée comme un œuf)
- 1 "vrai chien" invisible
- des caisses
- des oiseaux mécaniques volants de couleurs (effet aléatoir)
- 1 cabine téléphonique
- 1 malette porte-documentsEspace scènique
- cabine côté cour
- escaliers qui montent aux supers structures idéologiques du théâtreEclairage
peu fort : idée servante
respecter le charme de la salle : idée d'un petit faisceau tombant des cintresFaisceau dans lequel Feuerbach pourrait s'amuser à entrer lorsqu'il se trouve seul en scène.
Début du spectacle
Petit faisceau tombant comme une douche, sera un effet constant sur la durée du spectacle.
Feuerbach pourra y revenir sur : - "spéléologie... trop obscur", au cours de l'énumération des métiers "très insuffisants".Cabine téléphonique : petite loupiote intérieure de 20 watts.
Signalisation du point de communication avec l'extérieur, ou cheminement qui pourraît être l'éclairage des marches vers les hautes structures.- entrée et installation des spectateurs
- départ des oiseaux du haut du balcon vers la scène
- entrée du régisseur ramassant les oiseaux. Là, va croiser Feuerbach qui entre en scène.Selon les dediscalies
Personnages- Feuerbach comédien
- assistant - metteur en scène
- une femmeLieu
- le plateau de la salle d'un grand Théâtre
C'est important, car il y a tentation immédiate, celle de jouer la pièce comme étant la vrai salle du théâtre.
"L'action se situe dans un théâtre vide, après la répétition. Sur la scène, des éléments de décor datant de la veille. Par la suite surviennent des machinistes qui, sans s'occuper de Feuerbach finissent de démonter ce décor...." Dorst.
- Ma volonté est de l'éviter. J'effleure l'idée : Feuerbach va jouer par rapport au balcon.
L'action devant se passer dans une salle vide, il y a du fait une sorte de négation des spectateurs. C'est pourquoi je prends le parti de ne pas faire jouer l'assistant parmi les spectateurs, mais du balcon et de l'escalier.
Pour éviter cette juxtaposition assistant-spectateurs, il eut encore fallu construire sur le plateau un théâtre en coupe avec la scène et la salle. Ainsi les spectateurs auraient pu vivre un théâtre vide. Chose citée à plusieurs reprises par Dorst.Psychologie personnelle
"J'imagine Feuerbach comme un homme d'âge moyen, dont l'aspect n'a rien de marquant. Il n'a pas l'air d'un artiste, au contraire : il s'efforce, avec beaucoup de soin et d'anxiété, d'avoir l'air d'un bourgeois, d'un monsieur exerçant un métier qui exige une présentation sérieuse et discrète. Il s'exprime avec une précision excessive. Sa diction donne une impression d'exaltation, car il lui arrive d'allonger à l'excès certaines voyelles en enflant la voix, comme si le son s'affranchissait du contexte verbal et entrainait la voix avec lui.
... En dépit de son extrême vivacité et d'un orgueil parfois pathétique, on ne cesse de sentir qu'il est foncièrement dépressif : c'est un être perdu dans une pièce vide et sans fenêtre" Dorst.Je pense là que l'auteur va un peu vite en besogne. Il donne immédiatement la dépression de Feuerbach. Je crois moi qu'il faut la laisser venir. Il n'est pas plus fou que n'importe quel acteur.
Scène I
Feuerbach sur la scène
- Lumière...!!!Lorsque Feuerbach demande de la lumière, il teste l'accoustique.
- ...autant que je reparte tout de suite. (silence, il crie en direction de la salle.)
- sortir de la banalité immédiate.
- "lumière" et la lumière fut, lumière non clamée à la façon "savaryenne", la lumière viendra après.
Tout un tas d'effets, de sons : pas de danse, claquette...
Il retrouve l'atmosphère du Théâtre à travers une perception sensitive, vision-ouie-odorat.
Est-ce que vous me voyez ?...Un geste de négation de Feuerbach pour dire aux gens "vous, vous ne comptez pas" et demande au balcon "Est-ce qu'on me voit là haut ?"
Feuerbach
- J'ai été convoqué pour que vous me voyiez, pour que vous puissiez vous rendre compte si ce que je sais faire, et ce que je suis, correspond à ce que vous attendez.. (silence).
Feuerbach
- Lumière...!!!Feuerbach, là, ne doit pas apparaître fou.
Feuerbach (p.10-11)
Il prépare seul son audition.
Il se prend un peu trop au jeu : "je vais dire ça, je vais faire ça", comme un gosse qui à table joue avec son assiette, la prenant pour un camion. Feuerbach prend le volant du camion et va se laisser aller très loin comme ça.
- Lumière...!!!
(la scène s'éclaire. Le décor de la veille n'est pas encore démonté...)Là essai du projecteur son et lumière qu'il prend "en pleine gueule" de façon aléatoire.
Feuerbach
SURPRISE, ce qui va lui permettre d'aller un peu plus loin dans son jeu puisque l'invisible lui a répondu.
- Enfin, c'est pas trop tôt !
Que suis-je sensé faire ? ... (silence)
Je me suis préparé à jouer la scène du IVe acte du Tasso de Goethe...
Si d'une certaine façon, nous pouvions travailler ensemble. (silence)Comme il y a eu cette lumière le spectateur est désorienté. Il ne sait plus s'il poursuit au volant du camion, ou si il y a vraiment quelqu'un qui l'écoute. Si ce sont des technos qui font des essais sans tenir compte de lui ou un véritable interlocuteur.
Feuerbach
- Où êtes-vous donc ?
L'assistant
- IciL'assistant est en retard, et tombe à brûle pourpoint.
Fin du I, p. 12
Gène de sa part.
Feuerbach
- Je ne suis pas ici pour passer une audition devant son assistant.
(il se retourne et sort de scène).
L'assistant, le rappelant
- M. Feuerbach ! je vous en prie !...Culpabilité de l'assistant car le comédien qu'il était chargé d'accueillir se dérobe.
3, p. 14
Feuerbach
- là... où plutôt par là-bas (prend la chaise)
beaucoup d'espace autour de moi.
Je respire... Ah une chaise comme ça... la chaise et l'espace !
(silence)... La chaise à peu près au centre du plateau. Feuerbach va la décaler côté cour. Il a posé complètement à jardin son porte-documents.
p. 14
Il y aura 1/3 de la scène, entre le porte-document et la chaise, qui délimitera en quelque sorte l'espace de Feuerbach.
Entre la chaise et la cabine téléphonique se situera plutôt l'espace de l'assistant.
Feuerbach va se centrer le plus souvent possible entre sa malette et sa chaise et l'escabeau qui est au fond, c'est là sa piste, ce sont là ses bornes.
Feuerbach
- Racine devrait se jouer assis, à écrit un jour un homme fort intelligent. C'est très juste.3, p. 15
Feuerbach
- Hippolyte près d'une petite table à thé, Mithridate... Bérénice prend un loukoum.
Hector devise en tenant un verre de sherry... c'est très bon !Toute la théorie que développe Feuerbach est loin d'être sotte. Elle peut fonctionner très très bien, notamment sur Racine.
5, p. 20
Jean-Marc Avocat vient de le prouver en jouant remarquablement Phèdre seul en scène - une chaise, un costume noir, quelques indications, données par le port de tête, un geste qui glisse, un dos, un retour...
Feuerbach ne déconne pas, pas de folie. Il va juste un peu trop loin dans ses théories. Grosso-modo cette théorie est celle de Roland Barthes. Son problème c'est qu'il va... jusque trop loin. Les loukoums par exemple ça c'est de trop.
Feuerbach
- Le monde entier attend !
... quand la lumière reviendra-t-elle ?
Le prêtre arrache aux victimes leur cœur palpitant et le tend vers le ciel noir
L'assistant (crie à l'adresse des machinistes...)
- Ne faites donc pas tant de boucan sur le plateau !Effet intempestif de son. Un larsène, une fausse manœuvre, qui fait sortir l'assistant de ses gonds.
Feuerbach (p.22)
Le comédien doit oublier ses effets maintes fois éprouvés ! Il doit oublier sa virtuosité ! Il doit oublier sa langue ! Les mots et la signification des mots ! Le langage qui sort de sa bouche doit lui être étranger, incompréhensible, comme si brusquement il parlait chinois.Sur le développement théorique de Feuerbach qui somme toute est assez Brechtien, il y a quelque chose que j'aime bien c'est l'histoire du chinois.
Feuerbach
C'est pour moi une référence à toutes les pièces de Brecht, des post-brechtiens et de Tankred Dorst lui-même qui sont pour des effets de distanciation situées en Chine, qui sont "L'Exception est la règle", "La grande imprécation devant les murs de la ville", "La bonne âme de Setswam" et cette fascination pour le théâtre chinois, pour le théâtre épique chinois, les récits des contes chinois. Il y a toujours cette quête un peu folle de l'exotisme car toujours poussée trop loin comme moyen de distanciation à la fois dans le temps et dans l'espace.
- comédien...
...chinois
- Mais, voyez-vous, j'ai tout de même déjà fait de grandes choses : mon Empédocle, mon Tasso, mon Oedipe... c'était véritablement grandiose !
J'ai déjà connu, tout de même, l'état de grâce, et je ne saurais perdre la grâce. Le mot "grâce" vous irrite peut-être ?
L'assistant
- Pas du tout.
Feuerbach
- C'est une notion religieuse, et c'est aussi dans ce sens que je l'emploie.Une autre chose à dire!
6, p. 23
Sur les rôles qu'il a joué. Empédocle, Tasso, Oedipe Tasso, il en parle, poète de la Renaissance, fou d'inspiration, ne faisant plus la différence entre sa création et lui-même. Oedipe, on n'a rien trouvé si ce n'est le grand mythe. Empédocle c'est donc un phylosophe grec de l'antiquité 490-430 avant J.C. Empédocle en opposition avec l'hypothèse d'une seule substance à l'origine de tout, fait la distinction entre les quatre éléments, eau-air-terre-feu et deux forces amour et haine. La science elle-même fait la distinction entre "matières élémentaires" et "forces naturelles". Empédocle soulève aussi le problème de la perception liée aux proportions des éléments contenus dans l'individu par rapport à celles contenues dans l'objet regardé. Une fable amusante veut que notre Empédocle poussant à l'extrême l'exploration de ses hypothèses veut percer le feu (Feuerbach, Ruisseau de feu) Empédocle se jette dans l'Etna en laissant ses sandales sur le bord. Pour Feuerbach, le cratère c'est la scène où il se perdra.
L'assistant
- Ben oui, il y a naturellement des comédiens qui changent de métiers, ou qui se consacrent à une activité sociale, parce que le théâtre ne leur suffit plus. Mais alors, au bout de sept ans, ils ne songent pas à revenir sur les planches.
Feuerbach
- "Très insuffisant"
L'assistant
- Faire autre chose, un autre métier
Feuerbach
- Comédien : "très insuffisant ! 5 sur 20 !
L'assistant
- Ce ne sont pas les métiers qui manquent
Feuerbach
- A quel métier décerneriez-vous la mention "passable" ? Et la mention "bien" ou "très bien" ? Alors pharmacien ?...Un jeu puéril ou superstitieux va germer dans l'esprit de Feuerbach.
7, p. 29
Il doit parvenir à faire réfuter toutes les propositions pour décliner un très insuffisant sur des modes de plus en plus jubilatoires.
Vascillement sur criminologue pour triompher in fine sur un rire libérateur.
Feuerbach, p. 30
- ...Un jour j'arrive et je veux interpréter une chanson de Brecht, une chose très incisive, très critique, et je le fais, jusqu'au moment où le metteur en scène m'interrompt et me dit : "Vous, là, ...votre façon d'interpréter cette chanson m'ennuie. Faites moi donc un petit saut en l'air à la fin de chaque vers". Je lui dis : "Non, je ne sautillerai pas...".
...Et bien pour finir j'ai sautillé ! Et ce n'est pas la seule fois où j'ai dû sautiller à l'époque. Sautiller, toujours sautiller !...
Ce que d'autres camarades ont du endurer, il vaut mieux ne pas en parler.Sens possible à cette métaphore pour que le fait de sautiller veuille évoquer celui de coucher.
7, p. 31
Tout le long une ambiguïté. Plein de choses jamais claires. Jamais dites. Toujours possible "j'ai du sautiller", "ce que d'autres camarades ont du endurer".
Cette petite séquence sur Brecht est surprenante. Mais ce ne sera pas quelque chose qui sera appuyé.
Feuerbach
- Ce n'est pas la première réponse impertinante et provocatrice que vous me faites !
Mais je garde mon sang froid ! Parfaitement.
(long silence)Feuerbach parle, improvise et quand justement Feuerbach dit "je garde mon sang froid" c'est qu'il le perd. Il récite, c'est une manière de reprendre pied. "Je vais jouer Torquato Passo...", aussitôt il revient à l'improvisation car jouer un texte lui est impossible, il le prouvera par la suite, il a perdu cette capacité. Incapable du par coeur, il s'échappe, il fuit à travers l'improvisation.
7, p. 32
Il est comme il le dit au début (fin 5, p. 22) "Mais à ce stade, on est parfois désespéré. On est là sur la scène, désemparé, comme quelqu'un qui ne se serait jamais trouvé sur une scène".
Feuerbach
- Je vais jouer Tasso, le monologue de l'acte IV. J'ai joué Tasso deux fois.
La première fois...Forme d'insistance sur ce "deux fois" à voir dans le jeu, va lui permettre de déraper sur l'improvisation.
p. 34
(jeu des comédiens testant leurs propres connaissances à propos de l'énumération des pièces citées par Feuerbach...)p. 37
Feuerbach
- Non, vous n'êtes pas chargé de me garder ! Grand Dieu ! Non ! Quelle idée ! Pourquoi me garder !
Vous allez sans doute parler au Directeur, à Mr. Lettau pour lui dire...Cette séquence se passe à la cabine téléphonique.
8, p. 38
L'assistant téléphone. Là Feuerbach l'empêche de passer son coup de fil.
Feuerbach
- ...Il se réveille, et il pense : le théâtre ; et peut-être que, tout de même, il préferait de beaucoup pénétrer la vie ; c'est pour cela coupe le circuit. Quand tout est silencieux, que le théâtre est complétement mort, alors la vie revient.L'idée de la mort est capitale. Le théâtre c'est la mort. Le théâtre étant fausse vie, il est vrai mort.
10, p. 43
Feuerbach vit dans un monde mort, un monde faux quand bien même fait de vraissemblances, puisqu'il ne vit que dans le théâtre.
La phrase "quand tout est silencieux, que le théâtre est complétement mort, la vie revient" est lourde de sens. Elle campe le personnage et va jouer un rôle prépondérant dans le dénouement de la pièce.
Feuerbach
- Je connais divers exemples, dans le genre. Je me rappelle l'histoire du chapelet, dans Henri IV...Entrée de La Femme différée, arrive ici.
La Femme
- Merci. Quelle pagaille !
L'assistant
- Où il est, votre chien ?Son intervention veut rompre l'échange de la femme et de Feuerbach pour ne pas s'appesantir sur la pagaille qui pourrait le mettre en cause.
10, p. 43
La Femme
- Mais je l'ai amené. Seulement il a disparu. Je l'ai juste lâché. Alors, il s'est mis à renifler...
Je ne crois d'ailleurs pas que vous pourrez l'utiliser. Personne ne peut. Moi non plus. J'ai entendu dire par un collègue de travail que vous cherchiez un chien... il ne m'a jamais causé que des ennuis...S'adressant de nouveau à Feuerbach. Il a sa considération acquise, son âge, son costume, sa prestance le lui font voir comme "Le Patron". Les deux personnages ont sur le plan symbolique une fonction très stéréotypée. La dame est le non public. Fascinée, joue sur la convention de catharcie.
10, p. 44
L'assistant
- On ne lui demande qu'une chose, c'est d'être patient...L'assistant, public cultivé, aguérri. Convention de distanciation.
La Femme
Transfert, assimilation du rôle du chien à celui de Feuerbach. Feuerbach étant un patient, le chien doit être patient.
- Bon. Ca ira peut-être... Cet animal ne m'a causé que des malheurs.
Ne serait-ce que dans le taxi. Mes clients se sont plaints, parce qu'il pue, surtout quand il pleut.Transfert, ici encore quand les clients se plaignent du chien quand il pleut - surtout quand il pleut - comme de Feuerbach quand il inonde le théâtre.
10, p. 46
Feuerbach
- Je me rappelle cette histoire de chapelet dans Henri IV (ils ont disparus).
Le prince était au chevet de son père mourant et égrenait un chapelet...On les entend raconter cette histoire de chapelet, alors que la Dame se retrouve seule sur scène.
Feuerbach
En explorant celle-ci en profanne, elle va manipuler les divers accessoires. Là l'emphore, élément de décors prévu à cet effet, va lui rester dans les mains. Croyant l'avoir cassée, va la cacher dans son dos. Longtemps cela va être son soucis et déterminer son jeu. Jusqu'au moment où elle va totalement l'abandonner - ce n'est jamais qu'une potiche -.
- ...Sur quoi le prince Henri arrête ses pichenettes, regarde fixement la salle obscure et se met à hurler :
"Salauds ! Bande de salauds ! Ignobles salauds !" Il ne s'arrêtait plus de hurlet. Il a fallu baisser le rideau.Il se met à jouer face à la dame. La traite de salaud.
10, p. 48
Elle ne comprend pas. Se retrouve devant la chaise où la stupeur et la violence des mots l'assoient.
... Bien sûr, elle dissimule encore son emphore.
Jouer d'un mouvement de jambes pour rabattre le pans de la robe pour masquer l'objet.
Feuerbach
- Bon ! Parfait ! Je ne vous en veux pas, je trouve cela correct, et même sympathique,
de refuser ainsi de trahir les secrets de la maison, j'apprécie... !
Mais... pourquoi clignez-vous de l'oeil ?
L'assistant
- Moi ?
Feuerbach
- Oh, excusez-moi, je me rends compte que c'est un tic nerveux que vous avez à l'oeil gauche.
Je ne l'avais pas remarqué avant, j'étais trop loin, et l'éclairage de la salle est un peu faible.
Maintenant, j'ai cru tout d'un coup que vous me fassiez un clin d'oeil ! (il rit). Un petit défaut... une paille dans l'oeil...S'inscrit un début de connivence avec l'assistant. A mettre en place.
10, p. 49
Sur ce petit quelque chose, Feuerbach va sauter et à la fois profiter.
Feuerbach
- Thiem ? Un éternel éphèbe. Vide. Indolore....
Kohlweiss ? Un virtuose, rien d'intérieur.
... il n'y en a qu'un seul.
L'assistant
- Feuerbach ?Geste désignant Feuerbach à la dame. Connivence, qui va à la fois le nommer et les amener à rire ensemble, l'assistant et la dame.
Feuerbach
- Je ne suis pas amateur de vos plaisanteries. Vous chercher à mettre les rieurs de votre côté...Les rieurs, c'est ici la dame.
11, p. 50
C'est du tout public simple dont il s'agit. Référence à Molière qui disait "il faut mettre les rieurs de son côté".
Feuerbach
- Qui est donc Feuerbach ?...
Qui suis-je ?... Je suis personne. Je suis zéro.... Je suis l'homme zéro.C'est une revendication très fière de Feuerbach.
11, p. 51
Il a la capacité de faire le vide. De n'être rien. De ne pas être lui-même, mais d'être Pericles, d'être Empédocle, d'être Tasso.
Et lui de s'oublier au profit de ses personnages. Il est comme cette définition de William Somorset Maugham : "les comédiens se sont des grilles de mots croisés sans définition". C'est ce que revendique à ce moment là Feuerbach.
J'insiste, cette revendication est heureuse - je suis zéro -. Je suis parvenu à cette quintessence de l'acteur de n'être - rien -.
Ce n'est de sa part absolument pas une attitude masochiste. Son ton, là, va interpeler énormément la dame. L'intérêt qu'elle lui porte va faire qu'à partir de là, il va s'adresser à elle.
Feuerbach
- Moquez-vous ! Méprisez-moi !
Cela ne me fait rien, que vous vous moquiez de moi, vous ou un autre !... ou même le public, et c'est en général ce qui peut arriver de pire à un comédien.
Il en rit...C'est là, où Feuerbach prend un virage pour aller trop loin. De cette capacité intéressante de l'acteur, d'arriver à faire abstraction de lui-même par rapport au rôle, il va jusqu'à la complaisance masochiste. Là, il va déjà vers un comportement pathologique.
p. 53
Feuerbach
- Vérité ! Je veux parler avec vous, chères et insolentes petites créatures, de Dieu, mes frères, mes soeurs. Je veux vous dire en quoi réside la vraie félicité.
Arrive le frère portier qui nous demande, plein de colère : "Chi isiete voi ? emoi diremo".La dédascalie est lourde là, énorme. Quand il dit ça, Feuerbach voit des oiseaux et l'auteur nous les montrent.
p. 53
- Ca moi, je ne veux pas le faire. Les oiseaux interviennent au début. On revoit un oiseau mort après (un oiseau brisé).
La quête de Dorst, en fait est très simple, il y a une bascule d'éclairage. Feuerbach rêve, des oiseaux volent, on les voit.
Bascule d'éclairage. On revient à la réalité. Le rêve est fini. Cela me semble faire Théâtre des années 60. Peut-être y-a-t-il plus astucieux.
L'assistant
- Rien, qu'est-ce qu'il y a ?
Feuerbach
- C'est du vieil italien !
...
Feuerbach
- Peut-être que tout cela était un peu trop spéculatif, excusez-moi...
Mais cette volée d'oiseaux, vous l'avez tout de même vue ?Les oiseaux sont dans l'idée de Feuerbach et il nous en parle. Le travail de la bascule d'éclairage, lumière de rêve climat onirique, les spectateurs aujourd'hui sont capables de le faire tous seuls. Je fais le pari là dessus.
p. 56
Je ne veux pas souligner cette scène d'un effet technique. C'est purement de l'ordre du jeu d'acteur.
De plus on a déjà un effet produit par une langue étrangère qui fascine et porte à rêver. La dame est fascinée. La dame rêve et voit. (Le texte italien est de St François d'Assise qui évoque une foi masochiste, flagélante).
Feuerbach, lui les voit. Il le dit. A partir du moment où il le dit on est amené à croire. Le personnage de la dame les voit. On est sauvé. Elle les voit, elle applaudit. Elle est subjuguée par le jeu. Quand bien même elle se refusera à répondre quand l'assistant lui demandera si elle les a vu, lui qui ne veut pas croire à ce rêve.
La Femme
- Je me contente d'attendre
L'assistant
- Et alors ? Et alors ?
La Femme
- Je me contente d'attendre, j'ai rien à dire.L'attitude de la femme, là, est celle de quelqu'un dans un débat au théâtre qui n'ose pas parler. Elle est terrorisée par l'ampleur du débat. Ne comprend pas exactement les enjeux et ça lui flanque la trouille.
L'assistant
- C'était du Feuerbach authentique, ou pas ?
Feuerbach
- Je jouais !Prise de conscience de Feuerbach qui va trop loin, qui en fait trop. Mais il a encore la force de dire "je jouais". Il a encore la possibilité de ce recul.
p. 58
Feuerbach
- C'est une personnalité forte, imposante dans la direction d'acteur !...
A moi, par exemple, il a dit : "Vous êtes un comédien prodigieusement doué, Feuerbach, mais pour vraiment percer et être exceptionnel, il faut que vous assumiez la configuration de votre personnalité".
Qu'est-ce que ça signifie au juste, ma configuration ?Tout cela est dit à l'adresse de la dame.
13
Il pose la question à l'assistant.
Feuerbach
- Je suppose que vous l'avez su depuis le début...
Quand vous avez voulu partir, M. l'assistant, c'était pour aller dire à M. Letteau que j'étais un client peu sûr,
que j'ai donc passé sept ans en clinique et qu'on vient juste de me laisser sortir...
Je prend un médicament récemment mis au point qui supprime l'instabilité psychique...
(le chien fait irruption)
La Femme
- Tiens, le voilà !Aubaine pour cette dame d'entendre le chien qui lui permet de s'éclipser car l'évocation de la santé de Feuerbach l'indisposait.
13, p. 62
Feuerbach
- A moins que vous n'ayez eu un facheux soupçon qu'au moment où, sans réfléchir je vous ai raconté (juste pour vous distraire, en fait), que j'avais pris la miche de pain dans le panier, comme le metteur en scène me l'avait demandé pour la lancer sur mon partenaire, Antonio,... et qu'ensuite, j'ai continué à lancer toutes sortes de choses,... qui se trouvaient sur la scène, dans ce décor minable qu'un certain Müller Klein avait bricolé pour cette tournée...
L'assistant
- Allez-vous en, je vous en prie, Madame Angermeier.
Emmenez ce roquet hors du théâtre, on vous fera signe.
La Femme (à Feuerbach)
- Au revoir, Monsieur.Sur ce - certain Müller Klein -, là, la dame revient. La colère de Feuerbach est à son comble, les cris sont si forts qu'elle réapparait. Elle tient la laisse du chien dans une main et l'emphore cassée dans l'autre. Elle va assister à la fin et se faire congédier par Feuerbach tel un empereur Romain, alors que, encore admirative, elle le salue très gentiment. Il va la débarrasser également des accessoires. Il est hors de question qu'elle parte avec. L'emphore reprendra sa place. Le public constatera qu'elle n'était pas cassée, que c'était là son emploi.
13, p. 65
Feuerbach
- Vous êtes l'assistant, ou vous ne l'êtes pas ?
Etes-vous quelqu'un d'autre, peut-être ?
Quelqu'un de non-présent ? D'innocent ?Les non-présents se seront les spectateurs qui eux seront là.
p. 70
L'assistant
- Le metteur en scène est assis là haut, il réfléchit, il est calé dans son vieux fauteuil Knoll,
il pense et il mange des betteraves rouges, il ne mange que des betteraves rouges, rien d'autre, du matin au soir.Le metteur en scène me fait étrangement penser à Howard Hughes. En haut de sa tour qui mangeait des glaces à la fraise entouré de Mormonts, qu'il considérait saints et honnêtes. Il est mort avec des ongles de 25 cm, les cheveux de 70 cm.
14, p. 71
Letteau semble prit d'une sorte de folie de ce genre, lui mange des betteraves. Le rouge évoque le sang. On peut peut-être envisager une forme de vampirisme du théâtre. Il "bouffe le théâtre" jusqu'à le détruire. On sent que l'assistant, sur lequel s'acharne Letteau et les comédiens, est sur le même chemin.
Feuerbach (doucement)
- Mon ami... Mon cher ami
L'assistant
- Oui, oui, oui.A partir de là, Feuerbach va être d'une bienveillance extraordinaire envers l'assistant.
Feuerbach (très agité)
- Je vois le balancier s'élancer d'un côté et de l'autre.
...Là, la folie semble se répartir également.
...
Depuis combien de temps attendons-nous ?
Nous cessons à présent de mesurer le temps. (Il brise sa montre contre le dossier de sa chaise).
Je me souviens de Jean... de Jeannot... je ne sais pas s'il est encore de ce monde. Mais les gens à qui l'on pense continuent de vivre.
... Il avait pour ça une formule... attendez voir, comment était-ce déjà ?... "Qu'est-ce qui te tracasse ? Bois donc une tasse...".
Mais, voyez-vous, à cause d'elle, j'aimais ce garçon ! (il fredonne et murmure) "Bois une tasse"...Il brise cette montre, dont il a dit plus haut qu'elle s'arrêtait quand son propriétaire mourait. La dédascalie n'est pas claire, volontaire ? ou involontaire ? Rien n'est dit, on opte pour le volontaire.
15, p. 73
Feuerbach va l'enlever et la casser. C'est un suicide symbolique. Tout à fait net. Vient avec Jeannot l'évocation d'un paradis, on bascule "au Royaume des morts".
Il fredonne et s'endort. Par cet endormissement dont il sort brutalement, on casse un peu cette parenthèse chez les morts. Y rester ce serait d'un romantisme trop lourd. Cet endormissement peu aussi amener à croire que tout a été rêvé par Feuerbach en attendant son audition.
L'assistant
- M. Letteau est arrivé et vous êtes prié de commencer...Suivant les moyens dont nous disposerons, la voix de l'assistant ne sera pas directe, là... micro-bande, à voir.
p. 76
Feuerbach (il dit alors le monologue de Tasso)
- "Mais oui, tu peux aller, tu peux partir heureux
de m'avoir convaincu de tout ce que tu veux
(il va chercher la chaise et s'y assied)Il la prend, la met au centre de sa scène à lui, il s'assoit.
...
"Auprès de toi, j'apprend la dissimulation.
Tu y es passé maître, et je sais ta leçon..."
...p. 80
Feuerbach
- Si M. Letteau est reparti, alors je ne vois pas... oui.
Je veux dire... Alors, je peux partir moi aussi...
L'assistant
- Vous avez oublié vos chaussures !Pour l'image de la fin, Feuerbach s'en va. Ramasse son porte-document et oublie ses chaussures - qui sont au milieu de la piste - il part.
L'assistant descend l'escalier, le regarde partir. Voit les chaussures.
Comme la - lumière - du début n'est pas clamée, il n'y a pas davantage de clameur pour la fin sur - vous avez oublié vos chaussures -.