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de Tankred Dorst

 

"C'est le privilège des artistes de jouer avec le pire
car ils ont la délicatesse nécessaire à la manipulation d'objets dangereux".
Alain Sergent
 
Feuerbach, comédien, miroir ébréché du théâtre,
en quête de rôle, de reconnaissance, traverse avec bonheur, angoisse ou colère
les divers visages de son art, le temps, pour un artiste de cette classe, d'une étrange audition.
 

Il y a bien des années, je découvrais Tankred Dorst par le "Toller" de Patrice Chéreau ; puis en jouant "La Grande Imprécation devant les Murs de la Ville" à Lyon, sous la direction de Gilles Chavassieux.
Je tenais dans cette pièce le rôle d'un homme contraint à faire du théâtre pour confirmer ou infirmer par de multiples reconstitutions certains faits de sa vie, reprochés ou contestés.
Dans cette fable Tankred Dorst s'interrogeait sur le Théâtre, ses limites et son pouvoir.

Dans "Moi, Feuerbach", il s'enfonce encore plus profondément dans ces interrogations.
J'ai eu naturellement envie de poursuivre avec lui cette introspection.

Spectacle d'acteurs sur l'Acteur ; la mise en scène, à l'image du cerveau malade de Feuerbach, est toute en brisures, en ruptures, où les circonvolutions servent à fouiller les techniques et les manières de jeu qu'utilise cet acteur trop consciencieux, et qui finissent par le submerger.
Dans ce voyage alternativement mystique ou matérialiste, toutes les grandes théories d'Aristote à Strasberg sont visitées, testées, outrées par Feuerbach, volontairement ou inconsciemment.
Le théâtre ne parle plus, en tout cas, pas par Feuerbach, et devient un enfer au centre duquel on devine le Directeur Lettau, névropathe lui aussi, certainement.
Le théâtre est fou.
Tenu par deux fous.
Entre eux : l'assistant, jeune et raisonnable ; le germe au centre de la graine que forment les deux déments. Un bel avenir pour le théâtre. Mais n'a-t-on pas senti poindre la folie dans l'esprit du jeune homme ? Est-ce grave ? Et peut-il en être autrement ?

Alain Sergent
 

"Qui est donc Feuerbach ?... Qui suis-je ?... Je suis Personne. Je suis Zéro... je suis l'homme-zéro. Hier, on m'a adressé la parole pendant que j'achetais un blaireau dans une parfumerie (sur ce point, je suis démodé, je déteste le standard ; le tout prêt, les produits minute, les bombes aérosols) : "Bonjour, M. Feuerbach" - "Qui ?" J'avais littéralement oublié mon nom, où plutôt je ne l'avais pas oublié, mais je n'étais pas capable de le mettre en relation avec ma personne. Et je dois dire que j'en étais ravi".

"L'erreur tragique de mon existence a consisté à croire qu'au théâtre les limites et les contraintes de la vie normale ne s'appliquaient pas : que tout, d'une certaine façon l'existence toute entière, pouvit là être poussée à l'extrême, à l'excès, à l'extrême clarté. Or, au théâtre il s'agit justement de s'imposer une discipline et de la respecter !"

("Moi, Feuerbach", extraits)
Texte français Bernard Lortholary, publié aux Editions L'Arche, 1989.