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de Stanislaw Ignacy Witkiewicz

 

Tragédie sphérique en trois actes

Pour amener de la grandeur dans leur liaison devenue monotone, Elisabeth dite "la poule d'eau" demande à Edgar, son amant, de la tuer. L'étrange "meurtre-suicide" à peine commis, un enfant surgit et se trouve légué, pourrait-on dire, à Edgar par Elisabeth. L'enfant en quête de père, momentanément satisfait, trouve même une manière de mère en la personne d'Alicer, authentique princesse britannique. Il cherchera alors sa place, s'égarant dans celle que voudraient lui imposer des adultes à la recherche de leur propre identité, dans un monde dévoyé, perverti, sous la bien peu innocente tutelle de Woytzek Walper, père d'Edgar.

Monde de délires, échappé de têtes troubles, ponctué par les imprévisibles résurrections de la "poule d'eau", ce spectacle joue comme un vaudeville métaphysique dont l'humeur étrange nous entraîne dans les méandres flous des histoires de nos rêves.

Quelques repères pour un cheminement

Comédien professionnel depuis 1968, Alain Sergent a successivement (et durablement) lié son itinéraire à celui de l'Ensemble Théâtral de Lyon (Jean-Louis MARTIN-BARBAZ) et des Ateliers de Gilles CHAVASSIEUX avant de travailler, de façon régulière, avec Maurice YENDT et Michel DIEUAIDE, au Théâtre des Jeunes Années.
Depuis quelques temps, en tout cas depuis quatre spectacles, il est aussi metteur en scène et sa "Poule d'Eau" de WITKIEWICZ, entérine aujourd'hui, s'il en était encore besoin, une heureuse inclinaison à la conjugaison harmonisée des deux pratiques, autrement dit, au choix ponctuel et délibéré du jeu ou de la mise en scène.

Comment est né, chez vous, le désir de "passer de l'autre côté" de la scène ?

Au départ d'un sentiment d'exaspération, ou au moins, de frustration ; même lorsque le metteur en scène n'a rien d'un tyran, c'est lui, dans tous les cas, qui s'exprime à travers ce tout qu'est le spectacle dont il crée, malgré les apparences, la cohérence et l'univers, en solitaire.
Le metteur en scène travaille sur une globalité. Le comédien, lui n'intervient que pour la part plus ou moins grande qu'occupe son personnage. C'est passionnant aussi mais d'un autre ordre. J'avais envie de conduire un projet de bout en bout, d'ajouter moi aussi, quelque chose à un texte, bref d'être réellement le maître d'œuvre...

La Fille de Rapacini, Isabella Mora, Faust et Marguerite, La Poule d'Eau, quel est le fil qui mène de l'un à l'autre ?

C'est une banalité de dire qu'on choisit un texte parce qu'il continue, 10, 20 ou 50 ans après sa parution d'agiter des questions qui ont toujours cours. C'est pourtant vrai des quatre pièces que j'ai montées et c'est une partie de la réponse. Cela dit, le lien le plus manifeste entre les quatre, c'est probablement la présence, sous diverses formes, de profonds glissements entre réel et imaginaire et, en corollaire, d'une forte imprégnation tragique. Ici et là, la mort constitue l'alternative permanente et quotidienne. Quand j'ai créé la compagnie "Drame et Fantaisie" je justifiais son titre en disant "C'est le privilège des artistes de jouer avec le pire"... C'est une phrase que j'aime bien...

Parlez-nous un peu de "La Poule d'Eau"

J'ai découvert le texte absolument par hasard il y a dix ans et à l'époque, en tant que comédien, c'est surtout le personnage d'Edgar qui m'attirait. Edgar, c'est la génération du milieu, la génération double : le père et le fils. Je me sentais très proche de lui, sans doute aussi parce que, comme lui, (et comme WITKIEWICZ), c'est mon père qui m'a forcé à devenir artiste ! Aujourd'hui il y a encore une identification mais elle joue davantage par rapport à WITKIEWICZ dont le discours autobiographique est éclaté sur l'ensemble des personnages. Profondément, ce sont tous, comme Tadzio, le fils supposé d'Edgar et de la Poule d'Eau, des orphelins ; des orphelins de dieu et du diable qui cherchent par tous les moyens des échappatoires à leur désert métaphysique. Mon problème de metteur en scène a été de ne pas noyer le caractère absurde du texte dans un parti-pris qui aurait abondé dans ce sens. Les situations sont délibérement traitées sur un mode réaliste, quotidien presque...

Justement, est-ce qu'on peut situer votre travail sur le plan formel et théorique ?

Je crois qu'on vit beaucoup aujourd'hui sur l'héritage légué par les années 20 qui virent, entre autres, éclore le mouvement dada et surréaliste et le freudisme. Ce sont en tout cas des révolutions culturelles qui tiennent une large place dans mon alchimie personnelle. A partir de là, et dans tous les domaines il y a eu une grande vague de la théorisation... Il me semble qu'on en est maintenant arrivé à un point où l'ensemble de ces théories constitue un gigantesque alphabet. Le tout est d'y trouver matière à un supplément de liberté et surtout de ne pas se laisser enfermer dans tel ou tel principe. Comme comédien, j'ai l'impression de m'être fait suffisamment avoir avec ça. Maintenant, je me sens tout à fait à l'aise avec la polymorphie..., l'alphabet... C'est, en somme, une vaste théorie du compromie à condition de le considérer comme un enrichissement et non comme une altération. Je suis sûr, en plus, que si l'on veut faire coller un produit à une théorie, on y arrive toujours... Mais ça, ce n'est pas mon problème !

Des projets ?

J'en ai, bien sûr... de très fantaisistes, compte-tenu des coûts de réalisation ("La Nuit des Rois" de Shakespeare, par exemple), d'autres, comme une adaptation de "La Pornographie" de Gombrowicz, qui, à un autre niveau, le sont sûrement aussi...
En fait, je voudrais pouvoir réaliser ponctuellement des projets, comme je le fais pour "La Poule d'Eau" mais, surtout, ne pas cesser ces allers-retours entre jeu et mise en scène...
Je crois qu'ils autorisent vraiment, ici et là, un regard plus juste sur les choses...

 

Propos recueillis par Marielle Creac'h