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Alain Sergent

 

Mettre en scène... le jeu est fascinant, réinventer le monde, en inventer un autre, pire et meilleur que son modèle. Etre donc créateur. Le désir m'en est venu après avoir été l'une de ces créatures à la fois libres et déterminées que sont les comédiens ; je voulus, un jour, être celui qui dirige après surement quelques frustrations.
Le métier, l'art de la mise en scène que je connaissais comme acteur je l'appris, j'en pris conscience en l'exerçant. Je m'aperçus qu'il était fait à la fois de règles et d'exceptions, du défini et de l'impromptu, du sensitif et du réfléchit... fait d'éternelles contradictions, il consistait en une quête éperdue d'une improbable solution avec l'aide d'acteurs qui allient en eux le rationnel et l'émotif. Un équilibre introuvable que l'on tente d'approcher toujours plus.
Trop expliquer ce qu'est cet art pour moi, reviendrait à mettre trop d'ordre dans une pensée où la part de chaos est une des nécessités créatrices.
Il est cependant une contradiction dont je peux simplement parler, celle de l'essentiel et du détail... L'essentiel n'étant que la somme de tous les détails, pas une scène, pas un rôle, pas un mot ne doivent être négligés. La représentation est un corps où le moindre organe maltraité est cause de douleurs. Au théâtre, la douleur c'est l'ennui, l'ennui de tous, artistes et spectateurs.
Une méticulosité maniaque est le moyen de tout contrôler pour atteindre l'inaccessible.
Dans cette impossible mission réside la poèsie du théâtre.

Alain Sergent

 


 

Alain Sergent

Le désir d'un rôle naît de pulsions, de réflexions, d'envies, de rencontres, de discussions avec des metteurs en scène.
J'ai toujours su que je serais comédien, que je vieillirais avec le théâtre.
J'ai connu Alain Sergent en 1977, engagés tous deux par Gilles Chavassieux au Théâtre Les Ateliers à Lyon pour jouer dans une pièce de Tankred Dorst "La Grande Imprécation devant les murs de la Ville" (hasard !).
Depuis une longue et fidèle amitié nous lie.
Entre un comédien et un metteur en scène, c'est un peu comme une histoire d'amour, faite de complicité et de confiance, totale et réciproque.
Tous les metteurs en scène ne sont pas de bons directeurs d'acteurs, certains ne produisent que des images. Sergent, lui, est un véritable directeur d'acteurs. C'est un orfèvre, il cisèle chaque réplique, chaque pensée. Avec lui j'ai joué Rapaccini, Malvagio, Korbowsky, Petruccio, Hamm... je garde en moi une part de chaque personnage, aucun ne meurt tout à fait. Feuerbach, comédien à la recherche de sa propre identité laisse déjà des traces... La plongée dans le personnage est un travail sur soi à la fois physique et nerveux, un jeu d'oscillation entre l'acclimatation au rôle et sa propre fragilité. C'est un labyrinthe à travers lequel Sergent me guide avec beaucoup de sensibilité, de finesse. C'est un homme de détail, et j'aime le détail. C'est aussi un acteur, et il aime les acteurs. C'est important d'être dirigé, porté par un metteur en scène qui aime les acteurs.
L'art de l'acteur est mystérieux et profond (Baudelaire). C'est un travail très lent que l'on fait sur un rôle, de l'ordre de la découverte du texte. Une partie du travail consiste à rentrer dans le détail et quitter l'idée globale que l'on a du rôle au début par un travail de la mémoire qui ne consiste pas simplement à se souvenir des mots. C'est une mémoire affective dans laquelle on descend doucement. On use quelque chose. On s'use. Il s'agit d'être de moins en moins mécanique, d'accepter de plus en plus ce qu'il y a de douloureux dans un texte. C'est un bizarre travail avec la souffrance parce qu'un jour il ne doit rien rester de la souffrance, on doit trouver une jubilation, un plaisir là-dessous.
Etre comédien, c'est un métier d'enfant. Si on a pas gardé en soi une part d'enfance, alors on ne peut pas... on ne peut pas rentrer en scène devant tous ces regards, et travailler sans filet.

Alain Gandy
22.12.1997