Sa vie
Le Journal
23 octobre 1978
Serge Champin :
le silence sous les toits
Serge Champin fait partie de ces nombreux jeunes peintres qui louent
une chambre-atelier sous les toits, travaillent à mi-temps et peignant,
rêvent, rêvent sous les verrières d'un cinquième
étage.
Serge Champin a trente ans. Depuis plus de dix ans il ne vit que pour
la peinture, et aujourd'hui, à force de travail, les tableaux qu'il
expose au salon d'automne révèlent un peintre qui commence
à trouver son langage.
Les paysages d'attente, inondés d'une lumière sans source
entraînent le spectateur au delà de la toile, vers un autre
paysage de paix et de silence, sans effet, simplement, presque naïvement.
Serge Champin n'a pas appris la peinture ; il cherche à chaque
fois qu'il prend son pinceau et s'approche à tâton de l'harmonie,
de l'expression ressentie.
"J'ai commencé à peindre tout à fait par hasard.
En 65 accompagné d'un ami, j'ai fait le tour de France en dessinant
à la craie sur les places publiques ! On imagine pas le succès
que l'on peut avoir. J'étais parti avec une reproduction du Gréco
et une boite de craie, assez sceptique, mais chaque soir nous comptions
près de 100 francs dans notre bourse, ce qui nous permettait de
gagner une autre ville.
Au retour, j'avais 17 ans, j'ai acheté une série de
tubes de couleurs et j'ai commencé à peindre. Depuis, je
n'ai pas cessé".
"Vous n'avez pas cherché à suivre les cours des Beaux-Arts
?"
"J'ai voulu m'inscrire aux Beaux-Arts. Le premier jour, dans l'entrée
je vois descendre des farfelus qui se prenaient au sérieux. L'ambiance
m'a déplu et je suis parti. J'ai préféré apprendre
tout seul. Bien sûr, c'est plus long, il faut s'accrocher, bouquiner,
rendre visite à d'autres peintres, mais petit à petit, une
fois que la base est acquise on apprend en pratiquant".
"L'expérience des professeurs aurait pu vous faciliter le
travail".
"Je ne crois pas tellement aux enseignements théoriques.
Soit ils suppriment la spontanéité des jeunes, soit au contraire
ils les laissent trop libre et les découragent".
Des anges et des "Pietas"
"Au début j'éprouvais le besoin de choisir des thèmes
bibliques. J'avais envie d'anges aux grandes ailes lumineuses, de Vierges
au regard paisible. Mais les anges, aujourd'hui... Cela n'a pas marché
du tout !"
"Vos paysages, sans anges ni démons, plaisent d'avantage ?"
"Je ne crois pas qu'un peintre peut réellement progresser
s'il pense toujours à un public éventuel. Il faut peindre
pour soi, exprimer ce que l'on ressent. On arrive parfois à rencontrer
le goût du public. On arrive parfois à dire clairement ce
que l'on voulait. Il n'y avait dans ma démarche aucun parti pris
de mysticisme mais un grand désir de peindre le silence. Un jour
je me suis rendu compte que ce que je recherchai dans mes Pietas, mes anges,
c'était le silence. Un immense silence... un peu comme un pays que
l'on attend".
"Et vous avez commencé à peindre des paysages, des
plaines et des arbres, des verts et des bleus dans une atmosphère
très douce".
"C'est très curieux parce que je ne peins jamais ailleurs
que dans mon atelier. Je recherche un climat et puis j'essaye d'améliorer
ma technique".
L'attrait du fantastique
"Actuellement, je cherche d'ailleurs à trouver autre chose,
pour ne pas en faire un système. Je suis très attiré
par le fantastique".
Les arbres exposés au salon d'automne ne sont d'ailleurs plus
tout à fait des arbres : le feuillage se transforme en masses empilées,
comme du linge plié. Serge Champin recherche des formes tentaculaires,
des racines qui s'enroulent et pénètrent dans la terre.
"On dirait que vous changez également vos couleurs dans vos
derniers tableaux ?"
"J'aimerais travailler les noirs et les gris, quitte à rehausser
d'un peu de couleurs certaines parties de mes toiles".
"Vous pourriez changer de technique, abandonner l'huile pour la gravure
?"
"J'aimerais me mettre à la gravure, à l'eau-forte,
plus particulièrement. J'ai aussi beaucoup de projet à partir
des techniques photographiques pour étudier les noirs et blancs".
"Comment exposez-vous ?"
"J'expose à peu près régulièrement depuis
cinq ans. Depuis trois ans je participe au salon d'automne et au printemps
je présente mes toiles à la galerie de la Trinité,
mais je souhaiterais sortir de Lyon".
"Pensez-vous que ce sera plus facile à l'étranger ?"
"De toute façon, Lyon n'est pas une ville facile. La mentalité
des Lyonnais, peut-être, mais aussi la difficulté d'exposer.
J'aimerais, avec mes amis Willi Tiedge, Michael Maas et d'autres, réaliser
une exposition commune mais où ? Nous avions mis beaucoup d'espoir
dans l'Espace Lyonnais d'art contemporain, M. Pradel prévoyait la
création d'un centre pour les expositions des peintres régionaux.
Jusqu'à présent, peu de peintres régionaux en ont
profité et j'espère que les projets de l'E.L.A.C. vont dans
le sens d'une plus grande écoute des jeunes peintres".
Christine Caradot