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Les drapés
L'Echo et Le Valentinois Réunis
16 mars 1985
 

Serge Champin
expose ses oeuvres à la Galerie Malaval

J'ai voulu connaître l'artiste Serge Champin, après avoir été subjugué - le mot n'est pas trop fort - en regardant ses toiles. Elles provoquent incontestablement une réaction. On peut être pour, on peut être contre, mais elles ne laissent pas indifférent.
Il y a une telle chaleur, une telle volupté dans toutes ses oeuvres, qu'il est impossible de ne pas être fasciné. On devine comme un appel fatal, exalté, traduit sur des couleurs les plus somptueuses et techniquement irréprochables.
J'ai admiré surtout les violets savants, les bleus étranges, comme les voilages laiteux, capiteux, suavement composés et cachant on ne sait trop quoi ! En laissant toutefois deviner, et comme venue de très loin, une contrainte subtile et envahissante.
Je n'ai pas été étonné lorsque Serge Champin m'a dit qu'il se souvenait avoir toujours dessiné, pour aussi loin qu'il puisse remonter dans le temps. Je n'ai pas été surpris non plus lorsqu'il m'a appris qu'il était autodidacte. J'aurais été mécontent en effet de lui savoir des maîtres ; car je le voyais très bien indépendant, faisant cavalier seul, pour ne pas être imprégné d'autres images que les siennes et qu'il distillait avec une science digne des alchimistes du Moyen Age, à chaque goutte de couleur au bout de ses pinceaux.
Il y a bien de cela dans son oeuvre ; cette recherche infatigable de la pierre philosophale, cette attente presque insoutenable du souffle du Paraclet, tout l'y atteste, et on y retrouve encore cette somptuosité de la Byzance orientale, cet éblouissement des couleurs surexaltées par leurs juxtaposition même, autant que par une pensée vibrante, cette chevalerie moyenâgeuse, intempestive et frémissante à la fois sensuelle et mystique : Le Chevalier errant, Le Chevalier à la rose, Parfum d'Orient etc... en seraient les preuves irréfutables ; puis par une transposition pleine de douceur et de délicatesse, comme dans un sursaut, c'est La jeune fille à la mandole. La Châtelaine dans son isolement et dans sa solitude.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, le mystère de Serge Champin va plus loin, beaucoup plus loi. Il y a chez lui un côté de tendresse et qu'on retrouve dans l'harmonisation des nuances et qui n'exclut pas une certaine force, un aspect de violence, voire de brutalité. Cela peut étonner sinon surprendre.
Il faudrait croire à la réincarnation pour admettre cette explosion de puissance d'un peintre jeune, fervent, tumultueux comme le Rhône auquel il s'apparente et si proche de la Lugdunum qu'il semble vouloir incorporer à toutes ses toiles. Lyon, le charme en effet.
Etudions sa palette. Certains voudraient voir en lui un disciple de Dürer. Il n'a pas de maîtres, c'est sûr, et ses yeux bleux étincellent lorsqu'il l'affirme. Mais il pourrait quand même avoir été sensibilisé par Dürer, ce prodigieux artiste du XVIe siècle qui a laissé de lui de nombreux portraits et dont je retrouverais volontiers chez Serge Champin le dessinateur de génie, dont la richesse d'imagination, la science théorique, l'habileté pratique s'unissent pour parfaire le sujet, qu'il soit explosif ou méditatif ; mais ma pensée irait plutôt vers Piero di Cosimo. Cet art fantastique et tout imprégné d'esprit caractériserait bien à mon sens la peinture de Serge Champin. Il projette dans son oeuvre le ressort secret du modèle, du personnage intérieur, qu'il retrouve à chaque pas au fond de lui-même et lui permet ainsi d'exprimer dans une fantaisie complexe et tourmentée la re-création sans imitation possible de son moi intime. Il est des signes troublants et qui ne trompent pas.
La personnalité de Serge Champin est imaginative et singulière et son mode artistique trouve une résonnance constructive dans une soif toute intérieure de travail et de connaissance et qui caractérise bien ce Moyen-Age auquel il semble vouloir se reférer.
Son champ d'investigations est immense. Il ne fait pas seulement revivre des formes classiques - ô combien parfaites sous son pinceau -, il recherche encore une synthèse de facture émotionnelle entre le passé oriental et chrétien et l'exubérance d'un modernisme éclatant.
On se prend à penser en regardant ses toiles - et qu'il soutient par la puissance de son imagination créatrice - à des rapports constants entre le monde et l'homme, entre le matériel et le spirituel, repris d'ailleurs à chaque siècle en de différentes tonalités et réservant toujours d'identiques surprises, mais, ce qu'il y a d'original chez Serge Champin, c'est que cela se fait sans douleur, sans cassure, presque harmonieusement. Poussant plus loin, on pourrait voir passer au travers des coloris comme des formes le caractère étrange et peut-être un peu angoissé de l'artiste bien à l'abri - du moins le croit-il - derrière des drapés somptueux aux plus éclatantes nuances, comme aux plus rutilants effets.
Quant à sa vision de la nature, elle parait envahissante ; et l'être humain semble parfois se confondre, s'assimiler au monde animal qui lui est proche, par une déformation subtile, une curieuse substitution, les couleurs sont à la fois profondes et vives, mais demeure bien mystérieux, ce qui peut influencer son évolution artistique, l'orientant vers une recherche d'effets, parfois monumentaux, et si proche semblerait-il de la sculpture.
L'esprit est fin, sensitif, direct, énigmatique et de qualité.
Quant aux draperies, elles évoquent pour moi les tissus lourds, hiératiques, composés et puissants de Bronzino.
L'oeuvre de Serge Champin, que j'ai sous les yeux, et dont il m'est difficile de me détacher, est harmonieusement et lyriquement sentie. La composition en est construite avec liberté dans un cadre architectural qui donne tout le relief à l'illustration sensible et raffinée.
Il y a comme une vision somptuaire des choses qui, cependant, et malgré ces restrictions, va, bien au delà de l'effet d'équilibre, entre la forme décorative, la représentation psychologique, l'expérience limitative et l'opposition intellectuelle, ce qui permet l'adhésion totale à la réalité.
Jérusalem, Antioche, Edesse et Tripoli, ces principautés latines passent en filigrane dans les regards de ces chevaliers voilés qui laissent deviner la nostalgie qui les enveloppe, encore qu'ils portent ou soient entourés des satins, des damas, des mousselines et parés de perles et de pierreries, car ils ont le goût de l'élégance recueilli à travers la culture orientale et qui vient, c'est certain, de maints éléments empruntés aux civilisations antiques.
On pourrait supposer que Serge Champin a voulu établir dans son oeuvre une synthèse originale des pensées grecques et chrétiennes autant que germaniques et sarrazines. C'est peut-être vrai après tout et les musiques moyenâgeuses, nostalgiques, qui le touchent font songer à des révélations quasi mystiques.
Bref, il ne faut pas avoir peur de dire que Serge Champin est un aristocrate au service de l'image, de la couleur et de l'enchantement, mais au sens primitif du mot qui signifie excellence. Certaines de ses toiles ne sont pas sans rappeler les enluminures du psautier de Robert de l'Isles. Avec quel art, quelle aisance, quelle vérité il sait rendre l'expression des visages ; l'interprétation qu'il en donne ou veut en donner est impressionnante et se trouve soulignées par les colorations, des bleus composés, des bruns, des verts profonds et des éclatements de lumière resplendissante. Il se rapproche même de l'émail ou de la mosaïque, technique très en honneur du XIIe au XVe siècle Byzantin et rappelle par éclair le style symbolique d'Andronikos Byzaglos.
C'est dire suffisamment je crois "L'éclatement" - pour employer un mot à la mode - qui est le sien.
Je lui souhaite pour son exposition tout le succès qu'elle mérite et dont d'ailleurs personne, absolument personne, ne peut douter après avoir vu ses toiles, où domine peut-être "quelque chose" de pathétique.

Léon-Mary Estebe